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Émile Zola - La Terre

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deux mioches, lachant des injures, accusant le monde de mettre le nez ou il n'y avait que faire. On n'osa plus<br />

s'en meler. Seulement, les transes grandirent a chaque nouveau vacarme, on venait ecouter en fremissant les<br />

abominations qu'on entendait de la rue. Les malins croyaient qu'il avait son idee. D'autres juraient qu'il perdait<br />

la boule et que ca finirait par un malheur. Jamais on ne sut au juste.<br />

Le vendredi, la veille du jour ou l'on attendait l'expulsion, une scene surtout emotionna. Buteau, ayant<br />

rencontre son pere pres de l'eglise, se mit a pleurer comme un veau et s'agenouilla par terre, devant lui, en<br />

demandant pardon, d'avoir fait la mauvaise tete, anciennement. C'etait peut−etre bien ca qui lui portait<br />

malheur. Il le suppliait de revenir loger chez eux, il semblait croire que ce retour seul pouvait y ramener la<br />

chance. Fouan, ennuye de ce qu'il braillait, etonne de son apparent repentir, lui promit d'accepter un jour,<br />

quand tous les embetements de la famille seraient termines.<br />

Enfin, le samedi arriva. L'agitation de Buteau etait allee en croissant, il attelait et detelait du matin au soir,<br />

sans raison; et les gens se sauvaient, devant cet enragement de courses en voiture, qui ahurissait par son<br />

inutilite. Le samedi, des huit heures, il attela une fois encore, mais il ne sortit point, il se planta sur sa porte,<br />

appelant les voisins qui passaient, ricanant, sanglotant, hurlant son affaire en termes crus. Hein? c'etait rigolo<br />

tout de meme d'etre emmerde par une petite garce qu'on avait eue pour trainee pendant cinq ans! Oui, une<br />

putain! et sa femme aussi! deux fieres putains, les deux soeurs, qui se battaient a qui y passerait la premiere! Il<br />

revenait a ce mensonge, avec des details ignobles, pour se venger. Lise etant sortie, une querelle atroce<br />

s'engagea, il la rossa devant le monde, la renvoya detendue et soulagee, contente, lui aussi, d'avoir tape fort. Et<br />

il restait sur la porte a guetter la justice, il goguenardait, l'insultait: est−ce qu'elle se faisait foutre en chemin, la<br />

justice? Il ne l'attendait plus, il triomphait.<br />

Ce fut seulement a quatre heures que Vimeux parut avec deux gendarmes. Buteau palit, ferma precipitamment<br />

la porte de la cour. Peut−etre n'avait−il jamais cru qu'on irait jusqu'au bout. <strong>La</strong> maison tomba a un silence de<br />

mort. Insolent cette fois, sous la protection de la force annee, Vimeux frappa des deux poings. Rien ne<br />

repondait. Les gendarmes durent s'en meler, ebranlerent la vieille porte a coup de crosse. Toute une queue<br />

d'hommes, de femmes et d'enfants les avaient suivis, Rognes entier etait la, dans l'attente du siege annonce. Et,<br />

brusquement, la porte se rouvrit, on apercut Buteau debout a l'avant de sa voiture, fouettant son cheval, sortant<br />

au galop et poussant droit a la foule. Il clamait, au milieu des cris d'effroi:<br />

—Je vas me neyer! je vas me neyer!<br />

C'etait foutu, il parlait d'en finir, de se jeter dans l'Aigre, avec sa voiture, son cheval, tout!<br />

—Gare donc! je vas me neyer!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Une epouvante avait disperse les curieux, devant les coups de fouet et le train emporte de la carriole. Mais,<br />

comme il la lancait sur la pente, a fracasser les roues, des hommes coururent pour l'arreter. Cette sacree tete de<br />

pioche etait bien capable de faire le plongeon, histoire d'embeter les autres. On le rattrapa, il fallut batailler,<br />

sauter a la tete du cheval, monter dans la voiture. Quand on le ramena, il ne soufflait plus un mot, les dents<br />

serrees, tout le corps raidi, laissant s'accomplir le destin, dans la muette protestation de sa rage impuissante.<br />

A ce moment, la Grande amenait Francoise et Jean, pour qu'ils prissent possession de la maison. Et Buteau se<br />

contenta de les regarder en face, du regard noir dont il suivait maintenant la fin de son malheur. Mais c'etait le<br />

tour de Lise a crier, a se debattre, ainsi qu'une folle. Les gendarmes etaient la, qui lui repetaient de faire ses<br />

paquets et de filer. Fallait bien obeir, puisque son homme etait assez lache pour ne pas la defendre, en tapant<br />

dessus. Les poings aux hanches, elle tombait sur lui.<br />

—Jean−foutre qui nous laisse flanquer a la rue! T'as pas de coeur, dis? que tu ne cognes pas sur ces<br />

cochons−la.... Va donc, lache, lache! t'es plus un homme!<br />

VI 213

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