05.07.2013 Views

Émile Zola - La Terre

Émile Zola - La Terre

Émile Zola - La Terre

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

ca ne vous avait la bourse ouverte, comme les cuisses, que pour la godaille. Il mentait, c'etait lui qui l'avait<br />

arretee; et ils se battirent. Ah! la pauvre vieille maison patrimoniale des Fouan, batie il y avait trois siecles par<br />

un ancetre, aujourd'hui branlante, lezardee, tassee, raccommodee de toutes parts, le nez tombe en avant sous le<br />

souffle des grands vents de la Beauce! Dire que la famille l'habitait depuis trois cents ans, qu'on avait fini par<br />

l'aimer et par l'honorer comme une vraie relique, si bien qu'elle comptait lourd dans les heritages! D'une gifle,<br />

Buteau renversa Lise, qui se releva et faillit lui casser la jambe d'une ruade.<br />

Le lendemain soir, ce fut autre chose, le coup de tonnerre eclata. Le pere Saucisse etant alle, le matin, faire la<br />

declaration de command, Rognes sut, des midi, qu'il avait achete la maison pour le compte de Francoise,<br />

autorisee par Jean; et non seulement la maison, mais encore les meubles, Gedeon et la Coliche. Chez les<br />

Buteau, il y eut un hurlement de douleur et de detresse, comme si la foudre etait entree. L'homme, la femme,<br />

tombes a terre, pleuraient, gueulaient, dans le desespoir sauvage de n'etre pas les plus forts, d'avoir ete joues<br />

par cette garce de gamine. Ce qui les affolait, c'etait surtout d'entendre qu'on riait d'eux dans tout le village,<br />

tant ils avaient peu montre de malignite. Nom de Dieu! s'etre fait rouler ainsi, se laisser foutre a la porte de<br />

chez soi, en un tour de main! Ah! non, par exemple, on allait voir!<br />

Quand la Grande se presenta, le soir meme, au nom de Francoise, pour s'entendre poliment avec Buteau sur le<br />

jour ou il comptait demenager, il la flanqua dehors, perdant toute prudence, repondant d'un seul mot.<br />

—Merde!<br />

Elle s'en alla tres contente, elle lui cria simplement qu'on enverrait l'huissier. Des le lendemain, en effet,<br />

Vimeux, pale et inquiet, plus minable qu'a l'ordinaire, monta la rue, frappa avec precaution, guette par les<br />

commeres des maisons voisines. On ne repondit pas, il dut frapper plus fort, il osa appeler, en expliquant que<br />

c'etait pour la sommation d'avoir a deguerpir. Alors, la fenetre du grenier s'ouvrit, une voix gueula le mot, le<br />

meme, l'unique:<br />

—Merde!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Et un pot plein de la chose fut vide. Trempe du haut en bas, Vimeux dut remporter la sommation. Rognes s'en<br />

tient encore les cotes.<br />

Mais, tout de suite, la Grande avait emmene Jean a Chateaudun, chez l'avoue. Celui−ci leur expliqua qu'il<br />

fallait au moins cinq jours, avant d'en arriver a l'expulsion: le refere introduit, l'ordonnance rendue par le<br />

president, la levee au greffe de cette ordonnance, enfin l'expulsion, pour laquelle l'huissier se ferait aider des<br />

gendarmes, s'il le fallait. <strong>La</strong> Grande discuta afin de gagner un jour, et lorsqu'elle fut de retour a Rognes,<br />

comme on etait au mardi, elle annonca partout que, le samedi soir, les Buteau seraient jetes dans la rue a<br />

coups de sabre, ainsi que des voleurs, s'ils n'avaient pas d'ici la quitte la maison de bonne grace.<br />

Quand on repeta la nouvelle a Buteau, il eut un geste de terrible menace. Il criait a qui voulait l'entendre qu'il<br />

ne sortirait pas vivant, que les soldats seraient obliges de demolir les murs, avant de l'en arracher. Et, dans le<br />

pays, on ne savait s'il faisait le fou, ou s'il l'etait reellement devenu, tant sa colere touchait a l'extravagance. Il<br />

passait sur les routes, debout a l'avant de sa voiture, au galop de son cheval, sans repondre, sans crier gare;<br />

meme on l'avait rencontre la nuit, tantot d'un cote, tantot d'un autre, revenant on ne savait d'ou, du diable bien<br />

sur. Un homme, qui s'etait approche, avait recu un grand coup de fouet. Il semait la terreur, le village fut<br />

bientot en continuelle alerte. On s'apercut, un matin, qu'il s'etait barricade chez lui; et des cris effroyables<br />

s'elevaient derriere les portes closes, des hurlements ou l'on croyait reconnaitre les voix de Lise et de ses deux<br />

enfants. Le voisinage en fut revolutionne, on tint conseil, un vieux paysan finit par se devouer en appliquant<br />

une echelle a une fenetre, pour monter voir. Mais la fenetre s'ouvrit, Buteau renversa l'echelle et le vieux, qui<br />

faillit avoir les jambes rompues. Est−ce qu'on n'etait pas libre chez soi? Il brandissait les poings, il gueulait<br />

qu'il aurait leur peau a tous, s'ils le derangeaient encore. Le pis fut que Lise se montra, elle aussi, avec les<br />

VI 212

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!