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Émile Zola - La Terre

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D'un saut, Buteau se trouva debout, les yeux hors de la tete, la bouche ouverte. Rien a dire, pas de discussion<br />

possible: il avait touche l'argent, il devait en rendre la moitie. Un instant, il chercha; puis, ne trouvant pas de<br />

retraite, dans la folie qui montait et lui battait le crane, il se rua brusquement sur Jean.<br />

—Bougre de salop, qui a tue notre bonne amitie! Sans toi, on serait encore en famille, tous colles, tous gentils!<br />

Jean, tres raisonnable dans son silence, dut se mettre sur la defensive.<br />

—Touche pas ou je cogne!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Vivement, Francoise et Lise s'etaient levees, se plantant chacune devant son homme, le visage gonfle de leur<br />

haine lentement accrue, les ongles enfin dehors, pretes a s'arracher la peau. Et une bataille generale, que ni la<br />

Grande ni Fouan ne semblaient disposes a empecher, aurait surement fait voler les bonnets et les cheveux, si<br />

le notaire n'etait sorti de son flegme professionnel.<br />

—Mais, nom d'un chien! attendez d'etre dans la rue! C'est agacant, qu'on ne puisse tomber d'accord sans se<br />

battre!<br />

Lorsque tous, fremissants, se tinrent tranquilles, il ajouta:<br />

—Vous l'etes, d'accord, n'est−ce pas?... Eh bien! je vais arreter les comptes de tutelle, on les signera, puis<br />

nous procederons a la vente de la maison, pour en finir.... Allez−vous−en, et soyez sages, les betises coutent<br />

cher, des fois!<br />

Cette parole acheva de les calmer. Mais, comme ils sortaient, Jesus−Christ, qui avait attendu le pere, insulta<br />

toute la famille, en gueulant que c'etait une vraie honte, de fourrer un pauvre vieux dans ces sales histoires,<br />

pour le voler bien sur; et, attendri par l'ivresse, il l'emmena comme il l'avait amene, sur la paille d'une<br />

charrette, empruntee a un voisin. Les Buteau filerent d'un cote, la Grande poussa Jean et Francoise au Bon<br />

<strong>La</strong>boureur, ou elle se fit payer du cafe noir. Elle rayonnait.<br />

—J'ai tout de meme bien ri! conclut−elle, en mettant le reste du sucre dans sa poche.<br />

Ce jour−la encore, la Grande eut une idee. En rentrant a Rognes, elle courut s'entendre avec le pere Saucisse,<br />

un de ses anciens amoureux, disait−on. Comme les Buteau avaient jure qu'ils pousseraient la maison, contre<br />

Francoise, jusqu'a y laisser la peau, elle s'etait dit que, si le vieux paysan la poussait de son cote, les autres<br />

peut−etre ne se mefieraient pas et la lui lacheraient; car il se trouvait leur voisin, il pouvait avoir l'envie de<br />

s'agrandir. Tout de suite, il accepta, moyennant un cadeau. Si bien que, le deuxieme dimanche du mois, aux<br />

encheres, les choses se passerent comme elle l'avait prevu. De nouveau, dans l'etude de maitre Baillehache, les<br />

Buteau etaient d'un cote, Francoise et Jean de l'autre, avec la Grande; et il y avait du monde; quelques<br />

paysans, venus avec l'idee vague d'acheter, si c'etait pour rien. Mais, en quatre ou cinq encheres, jetees d'une<br />

voix breve par Lise et Francoise, la maison monta a trois mille cinq cents francs, ce qu'elle valait. Francoise, a<br />

trois mille huit, s'arreta. Alors, le pere Saucisse entra en scene, decrocha les quatre mille, mit encore cinq<br />

cents francs. Effares, les Buteau se regarderent: ce n'etait plus possible, l'idee de tout cet argent les glacait.<br />

Lise, pourtant, se laissa emporter jusqu'a cinq mille. Et elle fut ecrasee, lorsque le vieux paysan, d'un seul<br />

coup, sauta a cinq mille deux. C'etait fini, la maison lui fut adjugee a cinq mille deux cents francs. Les Buteau<br />

ricanerent, cette grosse somme serait bonne a toucher, du moment que Francoise et son vilain bougre, eux<br />

aussi, etaient battus.<br />

Cependant, lorsque Lise, de retour a Rognes, rentra dans cette antique demeure, ou elle etait nee, ou elle avait<br />

vecu, elle se mit a sangloter. Buteau, de meme, etranglait, serre a la gorge, au point qu'il finit par se soulager<br />

sur elle, en jurant que, lui, aurait donne jusqu'au dernier poil de son corps; mais ces sans−coeurs de femmes,<br />

VI 211

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