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Émile Zola - La Terre

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afin d'eviter tout ennui.<br />

Francoise ayant amene le numero deux, Lise dut prendre le numero un, et la face de Buteau devint noire, sous<br />

le flot qui en gonfla les veines. Jamais de chance! sa parcelle tranchee en deux! cette garce de cadette et son<br />

male plantes la, avec leur part, entre son morceau de gauche et son morceau de droite!<br />

—Nom de Dieu de nom de Dieu! jura−t−il entre ses dents. Sacre cochon de bon Dieu!<br />

Le notaire le pria d'attendre d'etre dans la rue.<br />

—Il y a que ca nous coupe la−haut, en plaine, fit remarquer Lise, sans se tourner vers sa soeur. Peut−etre<br />

qu'on consentira a faire un echange. Ca nous arrangerait et ca ne ferait du tort a personne.<br />

—Non! dit Francoise sechement.<br />

<strong>La</strong> Grande approuva d'un signe de tete: ca portait malheur, de defaire ce que le sort avait fait. Et ce coup<br />

malicieux du destin l'egayait, tandis que Jean n'avait pas bouge, derriere sa femme, si resolu a se tenir a l'ecart,<br />

que son visage n'exprimait rien.<br />

—Voyons, reprit le notaire, tachons d'en finir, ne nous amusons pas.<br />

Les deux soeurs, d'une commune entente, l'avaient choisi pour proceder a la licitation de la maison, des<br />

meubles et des betes. <strong>La</strong> vente par voie d'affiches fut fixee au deuxieme dimanche du mois: elle se ferait dans<br />

son etude, et le cahier des charges portait que l'adjudicataire aurait le droit d'entrer en jouissance le jour meme<br />

de l'adjudication. Enfin, apres la vente, le notaire procederait aux divers reglements de compte, entre les<br />

coheritieres. Tout cela fut accepte, sans discussion.<br />

Mais, a ce moment, Fouan, qu'on attendait comme tuteur, fut introduit par un clerc, qui empecha Jesus−Christ<br />

d'entrer, tellement le bougre etait soul. Bien que Francoise fut majeure depuis un mois, les comptes de tutelle<br />

n'etaient pas rendus encore, ce qui compliquait les choses; et il devenait necessaire de s'en debarrasser, pour<br />

degager la responsabilite du vieux. Il les regardait, les uns et les autres, de ses petits yeux ecarquilles; il<br />

tremblait, dans sa peur croissante d'etre compromis et de se voir trainer en justice.<br />

Le notaire donna lecture du releve des comptes. Tous l'ecoutaient, les paupieres battantes, anxieux de ne pas<br />

toujours comprendre, redoutant, s'ils laissaient passer un mot, que leur malheur ne fut dans ce mot.<br />

—Avez−vous des reclamations a faire? demanda M. Baillehache, quand il eut fini.<br />

Ils resterent effares. Quelles reclamations? Peut−etre bien qu'ils oubliaient des choses, qu'ils y perdaient.<br />

—Pardon, declara brusquement la Grande, mais ca ne fait pas du tout le compte de Francoise, ca! et faut<br />

vraiment que mon frere se bouche l'oeil expres, pour ne pas voir qu'elle est volee!<br />

Fouan begaya.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Hein? quoi?... Je ne lui ai pas pris un sou, devant Dieu, je le jure!<br />

—Je dis que Francoise, depuis le mariage de sa soeur, ce qui fait depuis cinq ans bientot, est restee dans le<br />

menage comme servante, et qu'on lui doit des gages.<br />

Buteau, a ce coup imprevu, sauta sur sa chaise. Lise, elle−meme, etouffa.<br />

VI 209

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