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Émile Zola - La Terre

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—<strong>La</strong> maison, elle veut la maison, cette devergondee, cette rien du tout, qui s'est mariee sans meme me venir<br />

voir!... Eh bien! ma tante, dites−lui que le jour ou elle aura la maison, faudra surement que je sois crevee.<br />

<strong>La</strong> Grande demeura calme.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Bon! bon! ma fille, pas besoin de se tourner le sang.... Tu veux aussi la maison, c'est ton droit. On va voir.<br />

Et, pendant trois jours, elle voyagea ainsi, entre les deux soeurs, portant de l'une a l'autre les sottises qu'elles<br />

s'adressaient, les exasperant a ce point que toutes les deux faillirent se mettre au lit. Elle, sans se lasser, faisait<br />

valoir combien elle les aimait et quelle reconnaissance ses nieces lui devraient, pour s'etre resignee a ce metier<br />

de chien. Enfin, il fut convenu qu'on partagerait la terre, mais que la maison et le mobilier, ainsi que les betes,<br />

seraient vendus judiciairement, puisqu'on ne pouvait s'entendre. Chacune des deux soeurs jurait qu'elle<br />

racheterait la maison n'importe a quel prix, quitte a y laisser sa derniere chemise.<br />

Grosbois vint donc arpenter les biens et les diviser en deux lots. Il y avait un hectare de prairie, un autre de<br />

vignes, deux de labour, et c'etait ces derniers surtout, au lieu dit des Cornailles, que Buteau, depuis son<br />

mariage, s'entetait a ne pas lacher, car ils touchaient au champ qu'il tenait lui−meme de son pere, ce qui<br />

constituait une piece de pres de trois hectares, telle que pas un paysan de Rognes n'en possedait. Aussi, quel<br />

enragement, lorsqu'il vit Grosbois installer son equerre et planter les jalons! <strong>La</strong> Grande etait la, a surveiller,<br />

Jean ayant prefere ne pas y etre, de peur d'une bataille. Et une discussion s'engagea, car Buteau voulait que la<br />

ligne fut tiree parallelement au vallon de l'Aigre, de facon que son champ restat soude a son lot, quel qu'il fut;<br />

tandis que la tante exigeait que la division fut faite perpendiculairement, dans l'unique but de le contrarier.<br />

Elle l'emporta, il serra les poings, etrangle de fureur contenue.<br />

—Alors, nom de Dieu! si je tombe sur le premier lot, je serai coupe en deux, j'aurai ca d'un cote et mon champ<br />

de l'autre?<br />

—Dame! mon petit, c'est a toi de tirer le lot qui t'arrange.<br />

Il y avait un mois que Buteau ne decolerait pas. D'abord, la fille lui echappait; il etait malade de desir rentre,<br />

depuis qu'il ne lui prenait plus la chair a poignees sous la jupe, avec l'espoir obstine de l'avoir toute un jour; et,<br />

apres le mariage, l'idee que l'autre la tenait dans son lit, s'en donnait sur elle tant qu'il voulait, avait acheve de<br />

lui allumer le sang du corps. Puis, maintenant, c'etait la terre que l'autre lui retirait des bras pour la posseder,<br />

elle aussi. Autant lui couper un membre. <strong>La</strong> fille encore, ca se retrouvait; mais la terre, une terre qu'il regardait<br />

comme sienne, qu'il s'etait jure de ne jamais rendre! Il voyait rouge, cherchait des moyens, revait confusement<br />

des violences, des assassinats, que la terreur des gendarmes l'empechait seule de commettre.<br />

Enfin un rendez−vous fut pris chez M. Baillehache, ou Buteau et Lise se retrouverent pour la premiere fois en<br />

face de Francoise et de Jean, que la Grande avait accompagnes par plaisir, sous le pretexte d'empecher les<br />

choses de tourner au vilain. Ils entrerent tous les cinq, raides, silencieux, dans le cabinet. Les Buteau s'assirent<br />

a droite. Jean, a gauche, resta debout derriere Francoise, comme pour dire qu'il n'en etait pas, qu'il venait<br />

simplement autoriser sa femme. Et la tante prit place au milieu, maigre et haute, tournant ses yeux ronds et<br />

son nez de proie sur les uns, puis sur les autres, satisfaite. Les deux soeurs n'avaient meme pas semble se<br />

connaitre, sans un mot, sans un regard, le visage dur. Il n'y eut qu'un coup d'oeil echange entre les hommes,<br />

rapide, luisant et a fond, pareil a un coup de couteau.<br />

—Mes amis, dit M. Baillehache, que ces attitudes devorantes laissaient calme, nous allons terminer avant tout<br />

le partage des terres, sur lequel vous etes d'accord.<br />

Cette fois, il exigea d'abord les signatures. L'acte se trouvait pret, la designation des lots seule demeurait en<br />

blanc, a la suite des noms; et tous durent signer avant le tirage au sort, auquel il fit proceder seance tenante,<br />

VI 208

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