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Émile Zola - La Terre

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marchait, ca commencait a etre amusant.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

<strong>La</strong> question etait de savoir s'il fallait d'abord entamer l'affaire du partage des biens ou proceder tout de suite au<br />

mariage. <strong>La</strong> Grande y songea deux nuits, puis se prononca pour le mariage immediat: Francoise marie a Jean,<br />

reclamant sa part, assistee de son mari, ca augmenterait l'embetement des Buteau. Alors, elle bouscula les<br />

choses, retrouva des jambes de jeune garce, s'occupa des papiers de sa niece, se fit remettre ceux de Jean,<br />

regla tout a la mairie et a l'eglise, poussa la passion jusqu'a preter l'argent necessaire, contre un papier signe<br />

des deux, et ou la somme fut doublee, pour les interets. Ce qui lui arrachait le coeur, c'etaient les verres de vin<br />

forcement offerts, au milieu des apprets; mais elle avait son vinaigre tourne, son chasse−cousin, si imbuvable,<br />

qu'on se montrait d'une grande discretion. Elle decida qu'il n'y aurait point de repas, a cause des ennuis de<br />

famille: la messe et un coup de chasse−cousin, simplement, pour trinquer au bonheur du menage. Les Charles,<br />

invites, s'excuserent, pretextant les soucis que leur causait leur gendre Vaucogne. Fouan, inquiet, se coucha,<br />

fit dire qu'il etait malade. Et, des parents, il ne vint que Delhomme, qui voulut bien etre l'un des temoins de<br />

Francoise, afin de marquer l'estime ou il tenait Jean, un bon sujet. De son cote, celui−ci n'amena que ses<br />

temoins, son maitre Hourdequin et un des serviteurs de la ferme. Rognes etait en l'air, ce mariage si<br />

rondement mene, gros de tant de batailles, fut guette de chaque porte. A la mairie, Macqueron, devant l'ancien<br />

maire, exagera les formalites, tout gonfle de son importance. A l'eglise, il y eut un incident penible, l'abbe<br />

Madeline s'evanouit, en disant sa messe. Il n'allait pas bien, il regrettait ses montagnes, depuis qu'il vivait dans<br />

la plate Beauce, navre de l'indifference religieuse de ses nouveaux paroissiens, si bouleverse des commerages<br />

et des disputes continuelles des femmes, qu'il n'osait meme plus les menacer de l'enfer. Elles l'avaient senti<br />

faible, elles en abusaient jusqu'a le tyranniser dans les choses du culte. Pourtant Coelina, Flore, toutes,<br />

montrerent un grand apitoiement de ce qu'il etait tombe le nez sur l'autel, et elles declarerent que c'etait un<br />

signe de mort prochaine pour les maries.<br />

On avait decide que Francoise continuerait a loger chez la Grande, tant que le partage ne serait pas fait, car<br />

elle avait arrete, dans sa volonte de fille tetue, qu'elle aurait la maison. A quoi bon louer ailleurs, pour quinze<br />

jours? Jean, qui devait rester charretier a la ferme, en attendant, viendrait simplement la retrouver, chaque<br />

soir. Leur nuit de noce fut toute bete et triste, bien qu'ils ne fussent pas faches d'etre enfin ensemble. Comme il<br />

la prenait, elle se mit a pleurer si fort qu'elle en suffoquait; et pourtant il ne lui avait pas fait de mal, il y etait<br />

alle, au contraire, tres gentiment. Le pire etait qu'au milieu de ses sanglots elle lui repondait qu'elle n'avait rien<br />

contre lui, qu'elle pleurait sans pouvoir s'arreter, en ne sachant meme pas pourquoi. Naturellement, une<br />

pareille histoire n'etait guere de nature a echauffer un homme. Il eut beau ensuite la reprendre, la garder dans<br />

ses bras, ils n'y eprouverent point de plaisir, moins encore que dans la meule, la premiere fois. Ces choses−la,<br />

comme il l'expliqua, quand ca ne se faisait pas tout de suite, ca perdait de son gout. D'ailleurs, malgre ce<br />

malaise, cette sorte de gene qui leur avait barbouille le coeur a l'un et a l'autre, ils etaient tres d'accord, ils<br />

acheverent la nuit ne pouvant dormir, a decider de quelle facon marcheraient les choses, lorsqu'ils auraient la<br />

maison et la terre.<br />

Des le lendemain, Francoise exigea le partage. Mais la Grande n'etait plus si pressee: d'abord, elle voulait faire<br />

trainer le plaisir, en tirant le sang de la famille a coups d'epingle; ensuite, elle avait su trop bien profiter de la<br />

petite et de son mari, qui, chaque soir, payait de deux heures de travail son loyer de la chambre, pour etre<br />

impatiente de les voir la quitter et s'installer chez eux. Cependant, il lui fallut aller demander aux Buteau<br />

comment ils entendaient le partage. Elle−meme, au nom de Francoise, exigeait la maison, la moitie de la piece<br />

de labour, la moitie du pre, et abandonnait la moitie de la vigne, un arpent, qu'elle estimait valoir la maison, a<br />

peu pres. C'etait juste et raisonnable, en somme, car ce reglement a l'amiable aurait evite de mettre dans<br />

l'affaire la justice, qui en garde toujours trop gras aux mains. Buteau, que l'entree de la Grande avait<br />

revolutionne, force qu'il etait de la respecter, celle−la, a cause de ses sous, ne put en entendre davantage. Il<br />

sortit violemment, de crainte d'oublier son interet jusqu'a taper dessus. Et Lise, restee seule, le sang aux<br />

oreilles, begaya de colere.<br />

VI 207

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