—Oui, je l'ai cru.... Et, vrai! je comprenais ca; car je connais le bougre, tu ne pouvais pas faire autrement que d'y passer. —Oh! il a essaye, il m'a assez petri le corps! Mais, si je te jure que jamais il n'est alle au bout, me croiras−tu? —Je te crois. Pour lui marquer son plaisir, il acheva de lui prendre la main, la garda serree dans la sienne, le bras accoude sur la barriere. S'etant apercu que l'ecoulement de l'etable mouillait ses souliers, il avait ecarte les jambes. —Tu semblais rester chez lui de si bon coeur, ca aurait pu t'amuser qu'il t'empoignat.... Elle eut un malaise, son regard si droit et si franc s'etait baisse. —D'autant plus que tu ne voulais pas davantage avec moi, tu te rappelles? N'importe, cet enfant que j'enrageais de ne pas t'avoir fait, vaut mieux aujourd'hui qu'il reste a faire. C'est tout de meme plus propre. Il s'interrompit, il lui fit remarquer qu'elle etait dans le ruisseau. —Prends garde, tu te trempes. Elle ecarta ses pieds a son tour, elle conclut: —Alors, nous sommes d'accord. —Nous sommes d'accord, fixe la date qu'il te plaira. <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> Et ils ne s'embrasserent meme point, ils se secouerent la main, en bons amis, par−dessus la barriere. Puis, chacun d'eux s'en alla de son cote. Le soir, lorsque Francoise dit sa volonte d'epouser Jean, en expliquant qu'il lui fallait un homme pour la faire rentrer dans son bien, la Grande ne repondit rien d'abord. Elle etait restee droite, avec ses yeux ronds; elle calculait la perte, le gain, le plaisir qu'elle y aurait; et, le lendemain seulement, elle approuva le mariage. Toute la nuit, sur sa paillasse, elle avait roule l'affaire, car elle ne dormait presque plus, elle demeurait les paupieres ouvertes jusqu'au jour, a imaginer des choses desagreables contre la famille. Ce mariage lui etait apparu gros de telles consequences pour tout le monde, qu'elle en avait brule d'une vraie fievre de jeunesse. Deja, elle prevoyait les moindres ennuis, elle les compliquait, les rendait mortels. Si bien qu'elle declara a sa niece vouloir se charger de tout, par amitie. Elle lui dit ce mot, accentue d'un terrible brandissement de canne: puisqu'on l'abandonnait, elle lui servirait de mere; et on allait voir ca! En premier lieu, la Grande fit comparaitre devant elle son frere Fouan, pour causer de ses comptes de tutelle. Mais le vieux ne put donner une seule explication. Si on l'avait nomme tuteur, ce n'etait pas de sa faute; et, au demeurant, puisque M. Baillehache avait tout fait, fallait s'adresser a M. Baillehache. Du reste, des qu'il s'apercut qu'on travaillait contre les Buteau, il exagera son ahurissement. L'age et la conscience de sa faiblesse le laissaient eperdu, lache, a la merci de tous. Pourquoi donc se serait−il fache avec les Buteau? Deux fois deja, il avait failli retourner chez eux, apres des nuits de frissons, tremblant d'avoir vu Jesus−Christ et la Trouille roder dans sa chambre, enfoncer leurs bras nus jusque sous le traversin, pour lui voler les papiers. Bien sur qu'on finirait par l'assassiner au Chateau, s'il ne filait pas, un soir. <strong>La</strong> Grande, ne pouvant rien tirer de lui, le renvoya epouvante, en criant qu'il irait en justice, si l'on avait touche a la part de la petite. Delhomme, qu'elle effraya ensuite, comme membre du conseil de famille, rentra chez lui malade, au point que Fanny accourut derriere son dos dire qu'ils preferaient y etre de leur poche, plutot que d'avoir des proces. Ca VI 206
marchait, ca commencait a etre amusant. <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> <strong>La</strong> question etait de savoir s'il fallait d'abord entamer l'affaire du partage des biens ou proceder tout de suite au mariage. <strong>La</strong> Grande y songea deux nuits, puis se prononca pour le mariage immediat: Francoise marie a Jean, reclamant sa part, assistee de son mari, ca augmenterait l'embetement des Buteau. Alors, elle bouscula les choses, retrouva des jambes de jeune garce, s'occupa des papiers de sa niece, se fit remettre ceux de Jean, regla tout a la mairie et a l'eglise, poussa la passion jusqu'a preter l'argent necessaire, contre un papier signe des deux, et ou la somme fut doublee, pour les interets. Ce qui lui arrachait le coeur, c'etaient les verres de vin forcement offerts, au milieu des apprets; mais elle avait son vinaigre tourne, son chasse−cousin, si imbuvable, qu'on se montrait d'une grande discretion. Elle decida qu'il n'y aurait point de repas, a cause des ennuis de famille: la messe et un coup de chasse−cousin, simplement, pour trinquer au bonheur du menage. Les Charles, invites, s'excuserent, pretextant les soucis que leur causait leur gendre Vaucogne. Fouan, inquiet, se coucha, fit dire qu'il etait malade. Et, des parents, il ne vint que Delhomme, qui voulut bien etre l'un des temoins de Francoise, afin de marquer l'estime ou il tenait Jean, un bon sujet. De son cote, celui−ci n'amena que ses temoins, son maitre Hourdequin et un des serviteurs de la ferme. Rognes etait en l'air, ce mariage si rondement mene, gros de tant de batailles, fut guette de chaque porte. A la mairie, Macqueron, devant l'ancien maire, exagera les formalites, tout gonfle de son importance. A l'eglise, il y eut un incident penible, l'abbe Madeline s'evanouit, en disant sa messe. Il n'allait pas bien, il regrettait ses montagnes, depuis qu'il vivait dans la plate Beauce, navre de l'indifference religieuse de ses nouveaux paroissiens, si bouleverse des commerages et des disputes continuelles des femmes, qu'il n'osait meme plus les menacer de l'enfer. Elles l'avaient senti faible, elles en abusaient jusqu'a le tyranniser dans les choses du culte. Pourtant Coelina, Flore, toutes, montrerent un grand apitoiement de ce qu'il etait tombe le nez sur l'autel, et elles declarerent que c'etait un signe de mort prochaine pour les maries. On avait decide que Francoise continuerait a loger chez la Grande, tant que le partage ne serait pas fait, car elle avait arrete, dans sa volonte de fille tetue, qu'elle aurait la maison. A quoi bon louer ailleurs, pour quinze jours? Jean, qui devait rester charretier a la ferme, en attendant, viendrait simplement la retrouver, chaque soir. Leur nuit de noce fut toute bete et triste, bien qu'ils ne fussent pas faches d'etre enfin ensemble. Comme il la prenait, elle se mit a pleurer si fort qu'elle en suffoquait; et pourtant il ne lui avait pas fait de mal, il y etait alle, au contraire, tres gentiment. Le pire etait qu'au milieu de ses sanglots elle lui repondait qu'elle n'avait rien contre lui, qu'elle pleurait sans pouvoir s'arreter, en ne sachant meme pas pourquoi. Naturellement, une pareille histoire n'etait guere de nature a echauffer un homme. Il eut beau ensuite la reprendre, la garder dans ses bras, ils n'y eprouverent point de plaisir, moins encore que dans la meule, la premiere fois. Ces choses−la, comme il l'expliqua, quand ca ne se faisait pas tout de suite, ca perdait de son gout. D'ailleurs, malgre ce malaise, cette sorte de gene qui leur avait barbouille le coeur a l'un et a l'autre, ils etaient tres d'accord, ils acheverent la nuit ne pouvant dormir, a decider de quelle facon marcheraient les choses, lorsqu'ils auraient la maison et la terre. Des le lendemain, Francoise exigea le partage. Mais la Grande n'etait plus si pressee: d'abord, elle voulait faire trainer le plaisir, en tirant le sang de la famille a coups d'epingle; ensuite, elle avait su trop bien profiter de la petite et de son mari, qui, chaque soir, payait de deux heures de travail son loyer de la chambre, pour etre impatiente de les voir la quitter et s'installer chez eux. Cependant, il lui fallut aller demander aux Buteau comment ils entendaient le partage. Elle−meme, au nom de Francoise, exigeait la maison, la moitie de la piece de labour, la moitie du pre, et abandonnait la moitie de la vigne, un arpent, qu'elle estimait valoir la maison, a peu pres. C'etait juste et raisonnable, en somme, car ce reglement a l'amiable aurait evite de mettre dans l'affaire la justice, qui en garde toujours trop gras aux mains. Buteau, que l'entree de la Grande avait revolutionne, force qu'il etait de la respecter, celle−la, a cause de ses sous, ne put en entendre davantage. Il sortit violemment, de crainte d'oublier son interet jusqu'a taper dessus. Et Lise, restee seule, le sang aux oreilles, begaya de colere. VI 207
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—Oui, il fait bon, repeta enfin J
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Des qu'il fut seul, Buteau, meconte
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Les Buteau, lorsqu'ils apercurent J
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souffrir dans cette vie. Lorsque De
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