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Émile Zola - La Terre

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Tous fremirent, et ce soulard de Jesus−Christ lui−meme se recula, effraye, degoute, du moment qu'on n'etait<br />

plus freres. Jean, interesse jusque−la, eut aussi un geste de revolte. Mais Canon s'etait leve, les yeux<br />

flambants, la face noyee d'une extase prophetique.<br />

—Et il faut que ca arrive, c'est fatal, comme qui dirait un caillou qu'on a lance en l'air et qui retombe<br />

forcement.... Et il n'y a plus la−dedans des histoires de cure, des choses de l'autre monde, le droit, la justice,<br />

qu'on n'a jamais vues, pas plus qu'on n'a vu le bon Dieu! Non, il n'y a que le besoin que nous avons tous d'etre<br />

heureux.... Hein? mes bougres, dites−vous qu'on va s'entendre pour que chacun s'en donne par−dessus la tete,<br />

avec le moins de travail possible! Les machines travailleront pour nous, la journee de simple surveillance ne<br />

sera plus que de quatre heures; peut−etre meme qu'on arrivera a se croiser completement les bras. Et partout<br />

des plaisirs, tous les besoins cultives et contentes, oui! de la viande, du vin, des femmes, trois fois davantage<br />

qu'on n'en peut prendre aujourd'hui, parce qu'on se portera mieux. Plus de pauvres, plus de malades, plus de<br />

vieux, a cause de l'organisation meilleure, de la vie moins dure, des bons hopitaux, des bonnes maisons de<br />

retraite. Un paradis! toute la science mise a se la couler douce! la vrai jouissance enfin d'etre vivant!<br />

Buteau, emballe, donna un coup de poing sur une table, en gueulant:<br />

—L'impot, foutu! le tirage au sort, foutu! tous les embetements, foutus! rien que le plaisir!... Je signe.<br />

—Bien sur, declara Delhomme sagement. Faudrait etre l'ennemi de son corps pour ne pas signer.<br />

Fouan approuva, ainsi que Macqueron, Clou et les autres. Becu, stupefie, bouleverse dans ses idees<br />

autoritaires, vint demander tout bas a Hourdequin s'il ne fallait pas coffrer ce brigand, qui attaquait l'empereur.<br />

Mais le fermier le calma d'un haussement d'epaules. Ah! oui, le bonheur! on le revait par la science apres<br />

l'avoir reve par le droit: c'etait peut−etre plus logique, ca n'etait toujours pas pour le lendemain. Et il partait de<br />

nouveau, il appelait Jean, tout a la discussion, lorsque Lequeu ceda brusquement a son besoin de s'en meler,<br />

dont il etouffait, comme d'une rage contenue.<br />

—A moins, lacha−t−il de sa voix aigre, que vous ne soyez tous creves avant ces belles affaires.... Creves de<br />

faim ou creves a coups de fusil par les gendarmes, si la faim vous rend mechants....<br />

On le regardait, on ne comprenait pas.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Certainement que, si le ble continue a venir d'Amerique, il n'existera plus dans cinquante ans un seul paysan<br />

en France.... Est−ce que notre terre pourra lutter avec celle de la−bas? A peine commencerons−nous a y<br />

essayer la vraie culture, que nous serons inondes de grains.... J'ai lu un livre qui en dit long, c'est vous autres<br />

qui etes foutus....<br />

Mais, dans son emportement, il eut la soudaine conscience de tous ces visages effares, tournes vers lui. Et il<br />

n'acheva meme pas sa phrase, il termina par un furieux geste, puis affecta de se replonger dans la lecture de<br />

son journal.<br />

—C'est bien a cause du ble d'Amerique, declara Canon, que vous serez foutus en effet, tant que le peuple ne<br />

s'emparera pas des grandes terres.<br />

—Et moi, conclut Hourdequin, je vous repete qu'il ne faut point que ce ble entre.... Apres ca, votez pour M.<br />

Rochefontaine, si vous assez de moi a la mairie et si vous voulez le ble a quinze francs.<br />

Il remonta dans son cabriolet, suivi de Jean. Puis, comme ce dernier fouettait le cheval, apres avoir echange un<br />

regard d'entente avec Francoise, il dit a son maitre, qui l'approuva d'un hochement de tete:<br />

V 203

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