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<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />
grandes fortunes, de facon que la totalite de l'argent, ainsi que les instruments de travail, feraient retour a la<br />
nation; et l'on organiserait une societe nouvelle, une vaste maison financiere, industrielle et commerciale, une<br />
repartition logique du labeur et du bien−etre. Dans les campagnes, ce serait plus simple encore. On<br />
commencerait par exproprier les possesseurs du sol, on prendrait la terre....<br />
—Essayez donc! interrompit de nouveau Hourdequin. On vous recevrait a coups de fourche, pas un petit<br />
proprietaire ne vous en laisserait prendre une poignee.<br />
—Est−ce que j'ai dit qu'on tourmenterait les pauvres? repondit Canon, gouailleur. Faudrait que nous soyons<br />
rudement serins, pour nous facher avec les petits.... Non, non, on respectera d'abord la terre des malheureux<br />
bougres qui se crevent a cultiver quelques arpents.... Et ce qu'on prendra seulement, ce sont les deux cents<br />
hectares des gros messieurs de votre espece, qui font suer des serviteurs a leur gagner des ecus.... Ah! nom de<br />
Dieu! je ne crois pas que vos voisins viennent vous defendre avec leurs fourches. Ils seront trop contents!<br />
Macqueron ayant eclate d'un gros rire, comme voyant la chose en farce, tous l'imiterent; et le fermier,<br />
palissant, sentit l'antique haine: ce gueux avait raison, pas un de ces paysans, meme le plus honnete, qui<br />
n'aurait aide a le depouiller de la Borderie!<br />
—Alors, demanda serieusement Buteau, moi qui possede environ dix setiers, je les garderai, on me les<br />
laissera?<br />
—Mais bien sur, camarade.... Seulement, on est certain que, plus tard, lorsque vous verrez les resultats<br />
obtenus, a cote, dans les fermes de la nation, vous viendrez, sans qu'on vous en prie, y joindre votre<br />
morceau.... Une culture en grand, avec beaucoup d'argent, des mecaniques, d'autres affaires encore, tout ce<br />
qu'il y a de mieux comme science. Moi, je ne m'y connais pas; mais faut entendre parler la−dessus des gens, a<br />
Paris, qui expliquent tres bien que la culture est foutue, si l'on ne se decide pas a la pratiquer ainsi!... Oui, de<br />
vous−meme, vous donnerez votre terre.<br />
Buteau eut un geste de profonde incredulite, ne comprenant plus, rassure pourtant, puisqu'on ne lui demandait<br />
rien; tandis que, repris de curiosite depuis que l'homme s'embrouillait sur cette grande culture nationale,<br />
Hourdequin pretait de nouveau une oreille patiente. Les autres attendaient la fin, comme au spectacle. Deux<br />
fois, Lequeu, dont, la face bleme s'empourprait, avait ouvert la bouche, pour s'en meler; et, chaque fois, en<br />
homme prudent, il s'etait mordu la langue.<br />
—Et ma part, a moi! cria brusquement Jesus−Christ. Chacun doit avoir sa part. Liberte, egalite, fraternite!<br />
Canon, du coup, s'emporta, levant la main comme s'il giflait le camarade.<br />
—Vas−tu me foutre la paix avec ta liberte, ton egalite et ta fraternite!... Est−ce qu'on a besoin d'etre libre? une<br />
jolie farce! Tu veux donc que les bourgeois nous collent encore dans leur poche? Non, non, on forcera le<br />
peuple au bonheur, malgre lui!... Alors, tu consens a etre l'egal, le frere d'un huissier? Mais, bougre de bete!<br />
c'est en gobant ces aneries−la que tes republicains de 48 ont foire leur sale besogne!<br />
Jesus−Christ, interloque, declara qu'il etait pour la grande Revolution.<br />
—Tu me fais suer, tais−toi!... Hein? 89, 93! oui, de la musique! une belle menterie dont on nous casse les<br />
oreilles! Est−ce que ca existe, cette blague, a cote de ce qu'il reste a faire? On va voir ca, quand le peuple sera<br />
le maitre, et ca ne trainera guere, tout craque, je te promets que notre siecle, comme on dit, finira d'une facon<br />
autrement chouette que l'autre. Un fameux nettoyage, un coup de torchon comme il n'y en a jamais eu!<br />
V 202