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Émile Zola - La Terre

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—Tais ta gueule, mon petit! Ils ne sont pas si betes qu'ils en ont l'air.... Ecoutez donc, vous autres, les paysans,<br />

qu'est−ce que vous diriez, si l'on collait, en face, a la porte de la mairie, une affiche ou il y aurait, imprime en<br />

grosses lettres: Commune revolutionnaire de Paris: primo, tous les impots sont abolis; secundo, le service<br />

militaire est aboli.... Hein? qu'est−ce que vous en diriez, les culs−terreux?<br />

L'effet fut si extraordinaire, que Delhomme, Fouan, Clou, Becu, demeurerent beants, les yeux arrondis.<br />

Lequeu en lacha son journal; Hourdequin qui s'en allait, rentra; Buteau, oubliant Francoise, s'assit sur un coin<br />

de table. Et ils regardaient tous ce deguenille, ce rouleur de routes, l'effroi des campagnes, vivant de maraudes<br />

et d'aumones forcees. L'autre semaine, on l'avait chasse de la Borderie, ou il etait apparu comme un spectre,<br />

dans le jour tombant. C'etait pourquoi il couchait a cette heure chez cette fripouille de Jesus−Christ, d'ou il<br />

disparaitrait le lendemain peut−etre.<br />

—Je vois que ca vous gratterait tout de meme au bon endroit, reprit−il d'un air gai.<br />

—Nom de Dieu, oui! confessa Buteau. Quand on pense que j'ai encore porte hier de l'argent au percepteur! Ca<br />

n'en finit jamais, ca nous mange la peau du corps!<br />

—Et ne plus voir ses garcons partir, ah! bon sang! s'ecria Delhomme. Moi qui paie pour exempter Nenesse, je<br />

sais ce que ca me coute.<br />

—Sans compter, ajouta Fouan, que si vous ne pouvez pas payer, on vous les prend et on vous les tue.<br />

Canon hochait la tete, triomphait en riant.<br />

—Tu vois bien, dit−il a Jesus−Christ, qu'ils ne sont pas si betes que ca, les culs−terreux!<br />

Puis, se retournant:<br />

—On nous crie que vous etes conservateurs, que vous ne laisserez pas faire.... Conservateurs de vos interets,<br />

oui, n'est−ce pas? Vous laisserez faire et vous aiderez a faire tout ce qui vous rapportera. Hein? pour garder<br />

vos sous et vos enfants, vous en commettriez des choses!... Autrement, vous seriez de rudes imbeciles!<br />

Personne ne buvait plus, un malaise commencait a paraitre sur ces visages epais. Il continua, goguenard,<br />

s'amusant a l'avance de l'effet qu'il allait produire.<br />

—Et c'est pourquoi je suis bien tranquille, moi qui vous connais, depuis que vous me chassez de vos portes a<br />

coups de pierres.... Comme le disait ce gros monsieur−la, vous serez avec nous, les rouges, les partageux,<br />

quand nous serons aux Tuileries.<br />

—Ah! ca, non! crierent a la fois Buteau, Delhomme et les autres.<br />

Hourdequin, qui avait ecoute attentivement, haussa les epaules.<br />

—Vous perdez votre salive, mon brave!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Mais Canon souriait toujours, avec la belle confiance d'un croyant. Renverse, le dos contre la muraille, il s'y<br />

frottait une epaule apres l'autre, dans un leger dandinement de caresse inconsciente. Et il expliquait l'affaire,<br />

cette revolution dont l'annonce de ferme en ferme, mysterieuse, mal comprise, epouvantait les maitres et les<br />

serviteurs. D'abord, les camarades de Paris s'empareraient du pouvoir: ca se passerait peut−etre naturellement,<br />

on aurait a fusiller moins de monde qu'on ne croyait, tout le grand bazar s'effondrerait de lui−meme tant il<br />

etait pourri. Puis, lorsqu'on serait les maitres absolus, des le soir, on supprimerait la rente, on s'emparerait des<br />

V 201

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