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Émile Zola - La Terre

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Hourdequin eclata d'un gros rire a sa plaisanterie, qu'il jugeait concluante. Vivement, M. Rochefontaine avait<br />

repris:<br />

—Alors, vous voulez que l'ouvrier meure de faim?<br />

—Pardon! je veux que le paysan vive.<br />

—Mais moi qui occupe douze cents ouvriers, je ne puis pourtant elever les salaires sans faire faillite.... Si le<br />

ble etait a trente francs, je les verrais tomber comme des mouches.<br />

—Eh bien! et moi, est−ce que je n'ai point de serviteurs? Quand le ble est a seize francs, nous nous serrons le<br />

ventre, il y a de pauvres diables qui claquent au fond de tous les fosses, dans nos campagnes.<br />

Puis, il ajouta, en continuant a rire:<br />

—Dame! chacun preche pour son saint.... Si je ne vous vends pas le pain cher, c'est la terre en France qui fait<br />

faillite, et si je vous le vends cher, c'est l'industrie qui met la clef sous la porte. Votre main−d'oeuvre<br />

augmente, les produits manufactures rencherissent, mes outils, mes vetements, les cent choses dont j'ai<br />

besoin.... Ah! un beau gachis, ou nous finirons par culbuter!<br />

Tous deux, le cultivateur et l'usinier, le protectionniste et le libre echangiste, se devisagerent, l'un avec le<br />

ricanement de sa bonhomie sournoise, l'autre avec la hardiesse franche de son hostilite. C'etait l'etat de guerre<br />

moderne, la bataille economique actuelle, sur le terrain de la lutte pour la vie.<br />

—On forcera bien le paysan a nourrir l'ouvrier, dit M. Rochefontaine.<br />

—Tachez donc, repeta Hourdequin, que le paysan mange d'abord.<br />

Et il sauta enfin de son cabriolet, et l'autre jetait un nom de village a son cocher, lorsque Macqueron, ennuye<br />

de voir que ses amis du conseil, venus sur le seuil, avaient entendu, cria qu'on allait boire un verre tous<br />

ensemble; mais, de nouveau, le candidat refusa, ne serra pas une seule main, se renversa au fond de son<br />

landau, qui partit, au trot sonore des deux grands percherons.<br />

A l'autre angle de la route, Lengaigne, debout sur sa porte, en train de repasser un rasoir, avait vu toute la<br />

scene. Il eut un rire insultant, il lacha tres haut, a l'adresse du voisin:<br />

—Baise mon cul et dis merci!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Hourdequin, lui, etait entre et avait accepte un verre. Des que Jean eut attache le cheval a un des volets, il<br />

suivit son maitre. Francoise, qui l'appelait d'un petit signe, dans la mercerie, lui conta son depart, toute<br />

l'affaire; et il en fut si remue, il craignit tellement de la compromettre, devant le monde, qu'il revint s'asseoir<br />

sur un banc du cabaret, apres avoir simplement murmure qu'il faudrait se revoir, afin de s'entendre.<br />

—Ah! nom de Dieu! vous n'etes pas degoutes tout de meme, si vous votez pour ce cadet−la! cria Hourdequin<br />

en reposant son verre.<br />

Son explication avec M. Rochefontaine l'avait decide a la lutte ouverte, quitte a rester sur le carreau. Et il ne le<br />

menagea plus, il le compara a M. de Chedeville, un si brave homme, pas fier, toujours heureux de rendre<br />

service, un vrai noble de la vieille France enfin! tandis que ce grand pete−sec, ce millionnaire a la mode<br />

d'aujourd'hui, hein? regardait−il les gens du haut de sa grandeur, jusqu'a refuser de gouter le vin du pays, de<br />

peur sans doute d'etre empoisonne! Voyons, voyons, ce n'etait pas possible! on ne changeait pas un bon cheval<br />

V 199

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