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Émile Zola - La Terre

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Des qu'il eut parle, M. Rochefontaine se dirigea vers la porte. L'adjoint eut un cri de desolation.<br />

—Comment! monsieur, vous ne nous ferez pas l'honneur de boire un verre?<br />

—Non, merci, je suis en retard deja.... On m'attend a Magnolles, a Bazoches, a vingt endroits. Bonsoir!<br />

Du coup, Berthe ne l'accompagna meme pas; et, de retour dans la mercerie, elle dit a Francoise:<br />

—En voila un mal poli! C'est moi qui renommerais l'autre, le vieux!<br />

M. Rochefontaine venait de remonter dans son landau, lorsque des claquements de fouet lui firent tourner la<br />

tete. C'etait Hourdequin, qui arrivait dans son cabriolet modeste, que conduisait Jean. Le fermier n'avait appris<br />

la visite de l'usinier a Rognes que par hasard, un de ses charretiers ayant rencontre le landau sur la route, et il<br />

accourait pour voir le peril en face, d'autant plus inquiet que, depuis huit jours, il pressait M. de Chedeville de<br />

faire acte de presence, sans pouvoir l'arracher a quelque jupon sans doute, peut−etre la jolie huissiere.<br />

—Tiens! c'est vous! cria−t−il gaillardement a M. Rochefontaine. Je ne vous savais pas deja en campagne.<br />

Les deux voitures s'etaient rangees roue a roue. Ni l'un ni l'autre ne descendirent, et ils causerent quelques<br />

minutes, apres s'etre penches pour se donner une poignee de main. Ils se connaissaient, ayant parfois dejeune<br />

ensemble chez le maire de Chateaudun.<br />

—Vous etes donc contre moi? demanda brusquement M. Rochefontaine, avec sa rudesse.<br />

Hourdequin, qui, a cause de sa situation de maire, comptait ne pas agir trop ouvertement, resta un instant<br />

decontenance de voir que ce diable d'homme avait une police si bien faite. Mais il ne manquait pas de carrure,<br />

lui non plus, et il repondit d'un ton gai, afin de laisser a l'explication un tour amical:<br />

—Je ne suis contre personne, je suis pour moi.... Mon homme, c'est celui qui me protegera. Quand on pense<br />

que le ble est tombe a seize francs, juste ce qu'il me coute a produire! Autant ne plus toucher un outil et<br />

crever!<br />

Tout de suite, l'autre se passionna.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Ah! oui, la protection, n'est−ce pas? la surtaxe, un droit de prohibition sur les bles etrangers, pour que les<br />

bles francais doublent de prix! Enfin, la France affamee, le pain de quatre livres a vingt sous, la mort des<br />

pauvres!... Comment, vous, un homme de progres, osez−vous en revenir a ces monstruosites?<br />

—Un homme de progres, un homme de progres, repeta Hourdequin de son air gaillard, sans doute j'en suis un;<br />

mais ca me coute si cher, que je vais bientot ne plus pouvoir me payer ce luxe.... Les machines, les engrais<br />

chimiques, toutes les methodes nouvelles, voyez−vous, c'est tres beau, c'est tres bien raisonne et ca n'a qu'un<br />

inconvenient, celui de vous ruiner d'apres la saine logique.<br />

—Parce que vous etes un impatient, parce que vous exigez de la science des resultats immediats, complets,<br />

parce que vous vous decouragez des tatonnements necessaires, jusqu'a douter des verites acquises et a tomber<br />

dans la negation de tout!<br />

—Peut−etre bien. Je n'aurais donc fait que des experiences. Hein? dites qu'on me decore pour ca, et que<br />

d'autres bons bougres continuent!<br />

V 198

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