—Moi, declara Jesus−Christ, je veux ce qu'on veut. Buteau, les dents serrees de rancune, parut consentir par son silence. Et Fouan les dominait toujours, promenant ses durs regards de maitre obei. Il finit par se rasseoir, en disant: —Alors, ca va, nous sommes d'accord. <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> M. Baillehache, sans s'emouvoir, repris de sommeil, avait attendu la fin de la querelle. Il rouvrit les yeux, il conclut paisiblement: —Puisque vous etes d'accord, en voila assez... Maintenant que je connais les conditions, je vais dresser l'acte... De votre cote, faites arpenter, divisez et dites a l'arpenteur de m'envoyer une note contenant la designation des lots. Lorsque vous les aurez tires au sort, nous n'aurons plus qu'a inscrire, apres chaque nom, le numero tire, et nous signerons. Il avait quitte son fauteuil pour les congedier. Mais ils ne bougerent pas encore, hesitant, reflechissant. Est−ce que c'etait bien tout? n'oubliaient−ils rien, n'avaient−ils pas fait une mauvaise affaire, sur laquelle il etait peut−etre temps de revenir? Trois heures sonnerent, il y avait pres de deux heures qu'ils etaient la. —Allez−vous−en, leur dit enfin le notaire. D'autres attendent. Ils durent se decider, il les poussa dans l'etude, ou, en effet, des paysans, immobiles, raidis sur les chaises, patientaient, tandis que le petit clerc suivait par la fenetre une bataille de chiens, et que les deux autres, maussades, faisaient toujours craquer leurs plumes sur du papier timbre. Dehors, la famille demeura un moment plantee au milieu de la rue. —Si vous voulez, dit le pere, l'arpentage sera pour apres−demain, lundi. Ils accepterent d'un signe de tete, ils descendirent la rue Grouaise, a quelques pas les uns des autres. Puis, le vieux Fouan et Rose ayant tourne dans la rue du Temple, vers l'eglise, Fanny et Delhomme s'eloignerent par la rue Grande. Buteau s'etait arrete sur la place Saint−Lubin, a se demander si le pere avait ou n'avait pas de l'argent cache. Et Jesus−Christ, reste seul, apres avoir rallume son bout de cigare, entra, en se dandinant, au cafe du Bon <strong>La</strong>boureur. <strong>La</strong> maison des Fouan etait la premiere de Rognes, au bord de la route de Cloyes a Bazoches−le−Doyen, qui traverse le village. Et, le lundi, le vieux en sortait des le jour, a sept heures, pour se rendre au rendez−vous donne devant l'eglise, lorsqu'il apercut, sur la porte voisine, sa soeur, la Grande, deja levee, malgre ses quatre−vingts ans. III Ces Fouan avaient pousse et grandi la, depuis des siecles, comme une vegetation entetee et vivace. Anciens serfs des Rognes−Bouqueval, dont il ne restait aucun vestige, a peine les quelques pierres enterrees d'un chateau detruit, ils avaient du etre affranchis sous Philippe le Bel; et, des lors, ils etaient devenus proprietaires, un arpent, deux peut−etre, achetes au seigneur dans l'embarras, payes de sueur et de sang dix fois leur prix. Puis, avait commence la longue lutte, une lutte de quatre cents ans, pour defendre et arrondir ce bien, dans un acharnement de passion que les peres leguaient aux fils: lopins perdus et rachetes, propriete derisoire sans III 18
cesse remise en question, heritages ecrases de tels impots qu'ils semblaient fondre, prairies et pieces de labour peu a peu elargies pourtant, par ce besoin de posseder, d'une tenacite lentement victorieuse. Des generations y succomberent, de longues vies d'hommes engraisserent le sol; mais, lorsque la Revolution de 89 vint consacrer ses droits, le Fouan d'alors, Joseph−Casimir, possedait vingt et un arpents, conquis en quatre siecles sur l'ancien domaine seigneurial. En 93, ce Joseph−Casimir avait vingt−sept ans; et, le jour ou ce qu'il restait du domaine fut declare bien national et vendu par lots aux encheres, il brula d'en acquerir quelques hectares. Les Rognes−Bouqueval, ruines, endettes, apres avoir laisse crouler la derniere tour du chateau, abandonnaient depuis longtemps a leurs creanciers les fermages de la Borderie, dont les trois quarts des cultures demeuraient en jacheres. Il y avait surtout, a cote d'une de ses parcelles, une grande piece que le paysan convoitait avec le furieux desir de sa race. Mais les recoltes etaient mauvaises, il possedait a peine, dans un vieux pot, derriere son four, cent ecus d'economies; et, d'autre part, si la pensee lui etait un moment venue d'emprunter a un preteur de Cloyes, une prudence inquiete l'en avait detourne: ces biens de nobles lui faisaient peur; qui savait si on ne les reprendrait pas, plus tard? De sorte que, partage entre son desir et sa mefiance, il eut le creve−coeur de voir, aux encheres, la Borderie achetee le cinquieme de sa valeur, piece a piece, par un bourgeois de Chateaudun, Isidore Hourdequin, ancien employe des gabelles. Joseph−Casimir Fouan, vieilli, avait partage ses vingt et un arpents, sept pour chacun, entre son ainee, Marianne, et ses deux fils, Louis et Michel; une fille cadette, <strong>La</strong>ure, elevee dans la couture, placee a Chateaudun, fut dedommagee en argent. Mais les mariages rompirent cette egalite. Tandis que Marianne Fouan, dite la Grande, epousait un voisin, Antoine Pechard, qui avait dix−huit arpents environ, Michel Fouan, dit Mouche, s'embarrassait d'une amoureuse, a laquelle son pere ne devait laisser que deux arpents de vigne. De son cote, Louis Fouan, marie a Rose Maliverne, heritiere de douze arpents, avait reuni de la sorte les neuf hectares et demi, qu'il allait, a son tour, diviser entre ses trois enfants. Dans la famille, la Grande etait respectee et crainte, non pour sa vieillesse, mais pour sa fortune. Encore tres droite, tres haute, maigre et dure, avec de gros os, elle avait la tete decharnee d'un oiseau de proie, sur un long cou fletri, couleur de sang. Le nez de la famille, chez elle, se recourbait en bec terrible; des yeux ronds et fixes, plus un cheveu, sous le foulard jaune qu'elle portait, et au contraire toutes ses dents, des machoires a vivre de cailloux. Elle marchait le baton leve, ne sortait jamais sans sa canne d'epine, dont elle se servait uniquement pour taper sur les betes et le monde. Restee veuve de bonne heure avec une fille, elle l'avait chassee, parce que la gueuse s'etait obstinee a epouser contre son gre un garcon pauvre, Vincent Bouteroue; et, meme, maintenant que cette fille et son mari etaient morts de misere, en lui leguant une petite−fille et un petit−fils, Palmyre et Hilarion, ages deja, l'une de trente−deux ans, l'autre de vingt−quatre, elle n'avait pas pardonne, elle les laissait crever la faim, sans vouloir qu'on lui rappelat leur existence. Depuis la mort de son homme, elle dirigeait en personne la culture de ses terres, avait trois vaches, un cochon et un valet, qu'elle nourrissait a l'auge commune, obeie par tous dans un aplatissement de terreur. Fouan, en la voyant sur sa porte, s'etait approche, par egard. Elle etait son ainee de dix ans, il avait pour sa durete, son avarice, son entetement a posseder et a vivre, la deference et l'admiration du village tout entier. —Justement, la Grande, je voulais t'annoncer la chose, dit−il. Je me suis decide, je vais la−haut pour le partage. Elle ne repondit pas, serra son baton, qu'elle brandissait. —L'autre soir, j'ai encore voulu te demander conseil; mais j'ai cogne, personne n'a repondu. Alors, elle eclata de sa voix aigre. <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> III 19
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Buteau, sous les coups, commencait
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Cependant, Buteau s'etonnait d'avoi
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Le trou beant s'arrondit encore, a
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—Maintenant, retourne−toi. Il c
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son pere, feignant de ne pas l'avoi
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terre; ca le tenait si fort, qu'il
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—Ah! ouiche! j'ai vu justement ce
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—Voyons, voyons... Puisqu'il est
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La Terre faisait battre par son hom
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Coelina, qui servait, eut un geste
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Hourdequin eclata d'un gros rire a
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—Tais ta gueule, mon petit! Ils n
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Tous fremirent, et ce soulard de Je
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elle n'eut plus qu'une envie, quitt
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marchait, ca commencait a etre amus
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afin d'eviter tout ennui. Francoise
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D'un saut, Buteau se trouva debout,
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deux mioches, lachant des injures,
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Au moment ou les Buteau, de leur co
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—On est si vole! repondit Jean. L
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facile et plus drole, mettez−vous
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Et les Buteau, qui avaient compte s
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alle jusqu'au bout, sans omettre un
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—Comment, pourquoi? Mais parce qu
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—Nom de Dieu! c'est encore toi...
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Alors Buteau se rua, pesa de tout l
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Lorsque, vers neuf heures, Jean eut
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La Terre cendre des papiers: du mon
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Les Buteau, lorsqu'ils apercurent J
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souffrir dans cette vie. Lorsque De
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qui sort comme elle est entree, ave