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Émile Zola - La Terre

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out de la vigne:<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—N'est−ce pas? ce n'est guere votre place, chez cette fripouille de Jesus−Christ. On vous y trouvera peut−etre<br />

bien assassine, un de ces quatre matins.... Et puis, tenez! moi, je vous nourrirai, je vous coucherai, et je vous<br />

payerai quand meme la pension.<br />

Le pere avait cligne les yeux, stupefait. Comme il ne parlait toujours pas, le fils voulut le combler.<br />

—Et des douceurs, votre cafe, votre goutte, quatre sous de tabac, enfin tout le plaisir!<br />

C'etait trop, Fouan prit peur. Sans doute, ca se gatait, chez Jesus−Christ. Mais si les embetements<br />

recommencaient, chez les Buteau?<br />

—Faudra voir, se contenta−t−il de dire, en se levant, afin de rompre l'entretien.<br />

On vendangea jusqu'a la nuit tombante. Les voitures ne cessaient d'emmener les gueulebees pleines et de les<br />

ramener vides. Dans les vignes, dorees par le soleil couchant, sous le grand ciel rose, le va−et−vient des<br />

paniers et des hottes s'activait, au milieu de la griserie de tout ce raisin charrie. Et il arriva un accident a<br />

Berthe, elle fut prise d'une telle colique, qu'elle ne put meme courir: sa mere et Lequeu durent lui faire un<br />

rempart de leurs corps, pendant qu'elle s'aponichait, parmi les echalas. Du plant voisin, on l'apercut. Victor et<br />

Delphin voulaient lui porter du papier; mais Flore et la Becu les en empecherent, parce qu'il y avait des bornes<br />

que les mal eleves seuls depassaient. Enfin, on rentra. Les Delhomme avaient pris la tete, la Grande forcait<br />

Hilarion a tirer avec le cheval, les Lengaigne et les Macqueron fraternisaient, dans la demi−ivresse qui<br />

attendrissait leur rivalite. Ce qu'on remarqua surtout, ce furent les politesses de l'abbe Madeline et de Suzanne:<br />

il la croyait sans doute une dame, a la voir la mieux habillee; si bien qu'ils marchaient cote a cote, lui rempli<br />

d'egards, elle faisant la sucree, demandant l'heure de la messe, le dimanche. Derriere eux, venait Jesus−Christ,<br />

qui, acharne contre la soutane, recommencait sa plaisanterie degoutante, dans une rigolade obstinee d'ivrogne.<br />

Tous les cinq pas, il levait la cuisse et en lachait un. <strong>La</strong> garce se mordait les levres pour ne pas rire, le pretre<br />

affectait de ne pas entendre; et, tres graves, accompagnes de cette musique, ils continuaient d'echanger des<br />

idees pieuses, a la queue du train roulant des vendanges.<br />

Comme on arrivait a Rognes enfin, Buteau et Fouan, honteux, essayerent d'imposer silence a Jesus−Christ.<br />

Mais il allait toujours, en repetant que M. le cure aurait eu bien tort de se formaliser.<br />

—Nom de Dieu! quand on vous dit que ce n'est pas pour les autres! C'est pour moi tout seul!<br />

<strong>La</strong> semaine suivante, on fut donc invite a gouter le vin, chez les Buteau. Les Charles, Fouan, Jesus−Christ,<br />

quatre ou cinq autres, devaient venir a sept heures manger du gigot, des noix et du fromage, un vrai repas.<br />

Dans la journee, Buteau avait enfute son vin, six pieces qui s'etaient emplies a la chantepleure de la cuve.<br />

Mais des voisins se trouvaient moins avances: un, en train de vendanger encore, foulait depuis le matin, tout<br />

nu; un second, arme d'une barre, surveillait la fermentation, enfoncait le chapeau, au milieu des<br />

bouillonnements du mout; un troisieme, qui avait un pressoir, serrait le marc, s'en debarrassait dans sa cour, en<br />

un tas fumant. Et c'etait ainsi dans chaque maison, et de tout ca, des cuves brulantes, des pressoirs ruisselants,<br />

des tonneaux qui debordaient, de Rognes entier, s'epandait l'ame du vin, dont l'odeur forte aurait suffi pour<br />

souler le monde.<br />

Ce jour−la, au moment de quitter le Chateau, Fouan eut un pressentiment qui lui fit prendre ses titres, dans la<br />

marmite aux lentilles. Autant les cacher sur lui, car il avait cru voir Jesus−Christ et la Trouille regarder en<br />

l'air, avec des yeux droles. Ils partirent tous les trois de bonne heure, ils arriverent chez les Buteau en meme<br />

temps que les Charles.<br />

IV 191

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