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Émile Zola - La Terre

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Bref, de la bonne gaiete, quelque chose de sain, qui rafraichissait.<br />

Et l'on achevait le pain et le fromage, lorsque Macqueron parut sur la route du bas, avec l'abbe Madeline. Du<br />

coup, l'on oublia Suzanne, il n'y eut plus de regards que pour le cure. Franchement, l'impression ne fut guere<br />

favorable: l'air d'une vraie perche, triste comme s'il portait le bon Dieu en terre. Cependant, il saluait devant<br />

chaque vigne, il disait un mot aimable a chacun, et l'on finit par le trouver bien poli, bien doux, pas fort enfin.<br />

On le ferait marcher, celui−la! ca irait mieux qu'avec ce mauvais coucheur d'abbe Godard. Derriere son dos,<br />

on commencait a s'egayer. Il etait arrive en haut de la cote, il restait immobile, a regarder l'immensite plate et<br />

grise de la Beauce, pris d'une sorte de peur, d'une melancolie desesperee, qui mouillerent ses grands yeux<br />

clairs de montagnard, habitues aux horizons etroits des gorges de l'Auvergne.<br />

Justement, la vigne des Buteau se trouvait la. Lise et Francoise coupaient les grappes, et Jesus−Christ qui<br />

n'avait pas manque d'amener le pere, etait deja soul du raisin dont il se gorgeait, en ayant l'air de s'occuper a<br />

vider les paniers dans les hottes. Ca cuvait si fort dans sa peau, ca le gonflait d'un tel gaz, qu'il lui sortait du<br />

vent par tous les trous. Et, la presence d'un pretre l'excitant, il fut incongru.<br />

—Bougre de mal eleve! lui cria Buteau. Attends au moins que M. le cure soit parti.<br />

Mais Jesus−Christ n'accepta pas la reprimande. Il repondit en homme qui avait de l'usage, quand il voulait:<br />

—Ce n'est pas a son intention, c'est pour mon plaisir.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Le pere Fouan avait pris un siege par terre, comme il disait, las, heureux du beau temps et de la belle<br />

vendange. Il ricana en dessous, malicieusement, de ce que la Grande, dont la vigne etait voisine, venait lui<br />

souhaiter le bonjour: celle−la aussi s'etait remise a le considerer, depuis qu'elle lui savait des rentes. Puis, d'un<br />

saut, elle le quitta, en voyant de loin son petit−fils Hilarion profiter goulument de son absence, pour<br />

s'empiffrer de raisin; et elle tomba sur lui a coups de canne: cochon a l'auge qui en gatait plus qu'il n'en<br />

gagnait!<br />

—En v'la une, la tante, qui fera plaisir, quand elle claquera! dit Buteau, en s'asseyant un instant pres de son<br />

pere, pour le flatter. Si c'est gentil, d'abuser de cet innocent, parce qu'il est fort et bete comme un ane!<br />

Ensuite, il attaqua les Delhomme, qui se trouvaient en contre−bas, au bord de la route. Ils avaient le plus beau<br />

vignoble du pays, pres de deux hectares d'un seul tenant, ou ils etaient bien une dizaine a s'occuper. Leurs<br />

vignes tres soignees donnaient des grappes comme pas un voisin n'en recoltait; et ils en etaient si orgueilleux,<br />

qu'ils avaient l'air de vendanger a l'ecart, sans s'egayer seulement des coliques brusques qui forcaient les filles<br />

a galoper. Sans doute, ca leur aurait casse les jambes, de monter saluer leur pere, car ils ne semblaient pas<br />

savoir qu'il etait la. Cet empote de Delhomme, un rude serin, avec sa pose au bon travail et a la justice! et cette<br />

pie−grieche de Fanny, toujours a se facher pour une vesse de travers, exigeant qu'on l'adorat comme une<br />

image, sans meme s'apercevoir des saletes qu'elle faisait aux autres!<br />

—Le vrai, pere, continua Buteau, c'est que je vous aime bien, tandis que mon frere et ma soeur.... Vous savez,<br />

j'en ai encore le coeur gros, qu'on se soit quitte pour des foutaises.<br />

Et il rejeta la chose sur Francoise, a qui Jean avait tourne la tete. Mais elle se tenait tranquille, a cette heure. Si<br />

elle bougeait, il etait decide a lui rafraichir le sang, au fond de la mare.<br />

—Voyons; pere, faut se tater.... Pourquoi ne reviendriez−vous pas?<br />

Fouan resta muet, prudemment. Il s'attendait a cette offre, que son cadet lachait enfin; et il desirait ne repondre<br />

ni oui, ni non, parce qu'on ne savait jamais. Alors, Buteau continua, en s'assurant que son frere etait a l'autre<br />

IV 190

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