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Émile Zola - La Terre

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masure. Pendant un mois, des ouvriers refirent les platres, remirent des vitres, remplacerent les ardoises<br />

pourries; et c'etait ainsi qu'un cure, enfin, avait pu s'installer la veille dans la petite maison, badigeonnee a<br />

neuf.<br />

Des l'aube, les voitures partirent pour la cote, chargees chacune de quatre ou cinq grands tonneaux defonces<br />

d'un bout, les gueulebees, comme on les nomme. Il y avait des femmes et des filles, assises dedans, avec leurs<br />

paniers; tandis que les hommes allaient a pied, fouettant les betes. Toute une file se suivait, et l'on causait, de<br />

voiture a voiture, au milieu de cris et de rires.<br />

Celle des Lengaigne, precisement, venait apres celle des Macqueron, de sorte que Flore et Coelina, qui ne se<br />

parlaient plus depuis six mois, se remirent, grace a la circonstance. <strong>La</strong> premiere avait avec elle la Becu, l'autre,<br />

sa fille Berthe. Tout de suite, la conversation etait tombee sur le cure. Les phrases, scandees par le pas des<br />

chevaux, partaient a la volee dans l'air frais du matin.<br />

—Moi, je l'ai vu qui aidait a descendre sa malle.<br />

—Ah!... Comment est−il?<br />

—Dame! il faisait noir.... Il m'a paru tout long, tout mince, avec une figure de careme qui n'en finit plus, et pas<br />

fort.... Peut−etre trente ans, l'air bien doux.<br />

—Et, a ce qu'on dit, il sort de chez les Auvergnats, dans des montagnes ou l'on est sous la neige, pendant les<br />

deux tiers de l'an.<br />

—Misere! c'est ca qu'il va se trouver a l'aise chez nous, alors!<br />

—Pour sur!... Et tu sais qu'il s'appelle Madeleine.<br />

—Non, Madeline.<br />

—Madeline, Madeleine, ce n'est toujours pas un nom d'homme.<br />

—Peut−etre bien qu'il viendra nous faire visite, dans les vignes, Macqueron a promis qu'il l'amenerait.<br />

—Ah! bon sang! faut le guetter!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Les voitures s'arretaient au bas de la cote, le long du chemin qui suivait l'Aigre. Et, dans chaque petit<br />

vignoble, entre les rangees d'echalas, les femmes etaient a l'oeuvre, marchant pliees en deux, les fesses hautes,<br />

coupant a la serpe les grappes dont s'emplissaient leurs paniers. Quant aux hommes, ils avaient assez a faire,<br />

de vider les paniers dans les hottes et de descendre vider les hottes dans les gueulebees. Des que toutes les<br />

gueulebees d'une voiture etaient pleines, elles partaient se decharger dans la cuve, puis revenaient a la charge.<br />

<strong>La</strong> rosee etait si forte, ce matin−la, que tout de suite les robes furent trempees. Heureusement, il faisait un<br />

temps superbe, le soleil les secha. Depuis trois semaines, il n'avait pas plu; le raisin dont on desesperait, a<br />

cause de l'ete humide, venait de murir et de se sucrer brusquement; et c'etait pourquoi ce beau soleil, si chaud<br />

pour la saison, les egayait tous, ricanant, gueulant, lachant des saletes, qui faisaient se tordre les filles.<br />

—Cette Coelina! dit Flore a la Becu, en se mettant debout et en regardant la Macqueron, dans le plant voisin,<br />

elle qui etait si fiere de sa Berthe, a cause de son teint de demoiselle!... V'la la petite qui jaunit et qui se<br />

desseche bigrement.<br />

IV 187

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