<strong>La</strong> <strong>Terre</strong> —Ah! si nous n'avions pas cet ange, conclut M. Charles, nous aurions vraiment trop de chagrin, a cause de ce que je vous ai dit.... Avec ca, mes rosiers et mes oeillets ont souffert cette annee, et j'ignore ce qui se passe dans ma voliere, tous mes oiseaux sont malades. <strong>La</strong> peche seule me console un peu, j'ai pris une truite de trois livres, hier.... N'est−ce pas? quand on est a la campagne, c'est pour etre heureux. On se quitta. Les Charles repeterent leur promesse d'aller gouter le vin nouveau. Fouan, Buteau et Jesus−Christ firent quelques pas en silence, puis le vieux resuma leur opinion. —Un chancard tout de meme, le cadet qui l'aura avec la maison, cette gamine! Le tambour de Rognes avait battu le ban des vendanges; et, le lundi matin, tout le pays fut en l'air, car chaque habitant avait sa vigne, pas une famille n'aurait manque, ce jour−la, d'aller en besogne sur le coteau de l'Aigre. Mais ce qui achevait d'emotionner le village, c'etait que la veille, a la nuit tombee, le cure, un cure dont la commune se donnait enfin le luxe, etait debarque devant l'eglise. Il faisait deja si sombre, qu'on l'avait mal vu. Aussi les langues ne tarissaient−elles pas, d'autant plus que l'histoire en valait surement la peine. Apres sa brouille avec Rognes, pendant des mois, l'abbe Godard s'etait obstine a ne pas y remettre les pieds. Il baptisait, confessait, mariait ceux qui venaient le trouver a Bazoches−le−Doyen; quant aux morts, ils auraient sans doute seche a l'attendre; mais le point resta obscur, personne ne s'etant avise de mourir, pendant cette grande querelle. Il avait declare a monseigneur qu'il aimait mieux se faire casser que de rapporter le bon Dieu dans un pays d'abomination, ou on le recevait, si mal, tous paillards et ivrognes, tous damnes, depuis qu'ils ne croyaient plus au diable; et monseigneur le soutenait evidemment, laissait aller les choses, en attendant la contrition de ce troupeau rebelle. Donc, Rognes etait sans pretre: plus de messe, plus rien, l'etat sauvage. D'abord, il y avait eu un peu de surprise; mais, au fond, ma foi! ca ne marchait pas plus mal qu'auparavant. On s'accoutumait, il ne pleuvait ni ne ventait davantage, sans compter que la commune y economisait gros. Alors, puisqu'un pretre n'etait point indispensable, puisque l'experience prouvait que les recoltes n'y perdaient rien et qu'on n'en mourait pas plus vite, autant valait−il s'en passer toujours. Beaucoup se montraient de cet avis, non seulement les mauvaises tetes comme Lengaigne, mais encore des hommes de bon sens, qui savaient calculer, Delhomme par exemple. Seulement, beaucoup aussi se vexaient de n'avoir pas de cure. Ce n'etait point qu'ils fussent plus religieux que les autres: un Dieu de rigolade qui avait cesse de les faire trembler, ils s'en fichaient! Mais pas de cure, ca semblait dire qu'on etait trop pauvre ou trop avare pour s'en payer un; enfin, on avait l'air au−dessous de tout, des riens de rien qui n'auraient pas depense dix sous a de l'inutile. Ceux de Magnolles, ou ils n'etaient que deux cent quatre−vingt−trois, dix de moins qu'a Rognes, nourrissaient un cure, qu'ils jetaient a la tete de leurs voisins, avec une facon de rire si provocante, que ca finirait certainement par des claques. Et puis, les femmes avaient des habitudes, pas une n'aurait consenti bien sur a etre mariee ou enterree sans pretre. Les hommes eux−memes allaient des fois a l'eglise, aux grandes fetes, parce que tout le monde y allait. Bref, il y avait toujours eu des cures, et quitte a s'en foutre, il en fallait un. Naturellement, le conseil municipal fut saisi de la question. Le maire, Hourdequin, qui, sans pratiquer, soutenait la religion par principe autoritaire, commit la faute politique de ne pas prendre parti, dans une pensee conciliante. <strong>La</strong> commune etait pauvre, a quoi bon la grever des frais, gros pour elle, que necessiterait la reparation du presbytere? d'autant plus qu'il esperait ramener l'abbe Godard. Or, il arriva que ce fut Macqueron, l'adjoint, jadis l'ennemi de la soutane, qui se mit a la tete des mecontents, humilies de n'avoir pas un cure a eux. Ce Macqueron dut nourrir des lors l'idee de renverser le maire, pour prendre sa place; et l'on disait, d'ailleurs, qu'il etait devenu l'agent de M. Rochefontaine, l'usinier de Chateaudun, qui allait se porter de nouveau contre M. de Chedeville, aux elections prochaines. Justement, Hourdequin, fatigue, ayant a la ferme de grands soucis, se desinteressait des seances, laissait agir son adjoint; de telle sorte que le conseil, gagne par celui−ci, vota les fonds necessaires a l'erection de la commune en paroisse. Depuis qu'il s'etait fait payer son terrain exproprie, lors du nouveau chemin, apres avoir promis de le ceder gratuitement, les conseillers le traitaient de filou, mais lui temoignaient une grande consideration. Lengaigne seul protesta contre le vote qui livrait le pays aux jesuites. Becu aussi grognait, expulse du presbytere et du jardin, loge maintenant dans une IV 186
masure. Pendant un mois, des ouvriers refirent les platres, remirent des vitres, remplacerent les ardoises pourries; et c'etait ainsi qu'un cure, enfin, avait pu s'installer la veille dans la petite maison, badigeonnee a neuf. Des l'aube, les voitures partirent pour la cote, chargees chacune de quatre ou cinq grands tonneaux defonces d'un bout, les gueulebees, comme on les nomme. Il y avait des femmes et des filles, assises dedans, avec leurs paniers; tandis que les hommes allaient a pied, fouettant les betes. Toute une file se suivait, et l'on causait, de voiture a voiture, au milieu de cris et de rires. Celle des Lengaigne, precisement, venait apres celle des Macqueron, de sorte que Flore et Coelina, qui ne se parlaient plus depuis six mois, se remirent, grace a la circonstance. <strong>La</strong> premiere avait avec elle la Becu, l'autre, sa fille Berthe. Tout de suite, la conversation etait tombee sur le cure. Les phrases, scandees par le pas des chevaux, partaient a la volee dans l'air frais du matin. —Moi, je l'ai vu qui aidait a descendre sa malle. —Ah!... Comment est−il? —Dame! il faisait noir.... Il m'a paru tout long, tout mince, avec une figure de careme qui n'en finit plus, et pas fort.... Peut−etre trente ans, l'air bien doux. —Et, a ce qu'on dit, il sort de chez les Auvergnats, dans des montagnes ou l'on est sous la neige, pendant les deux tiers de l'an. —Misere! c'est ca qu'il va se trouver a l'aise chez nous, alors! —Pour sur!... Et tu sais qu'il s'appelle Madeleine. —Non, Madeline. —Madeline, Madeleine, ce n'est toujours pas un nom d'homme. —Peut−etre bien qu'il viendra nous faire visite, dans les vignes, Macqueron a promis qu'il l'amenerait. —Ah! bon sang! faut le guetter! <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> Les voitures s'arretaient au bas de la cote, le long du chemin qui suivait l'Aigre. Et, dans chaque petit vignoble, entre les rangees d'echalas, les femmes etaient a l'oeuvre, marchant pliees en deux, les fesses hautes, coupant a la serpe les grappes dont s'emplissaient leurs paniers. Quant aux hommes, ils avaient assez a faire, de vider les paniers dans les hottes et de descendre vider les hottes dans les gueulebees. Des que toutes les gueulebees d'une voiture etaient pleines, elles partaient se decharger dans la cuve, puis revenaient a la charge. <strong>La</strong> rosee etait si forte, ce matin−la, que tout de suite les robes furent trempees. Heureusement, il faisait un temps superbe, le soleil les secha. Depuis trois semaines, il n'avait pas plu; le raisin dont on desesperait, a cause de l'ete humide, venait de murir et de se sucrer brusquement; et c'etait pourquoi ce beau soleil, si chaud pour la saison, les egayait tous, ricanant, gueulant, lachant des saletes, qui faisaient se tordre les filles. —Cette Coelina! dit Flore a la Becu, en se mettant debout et en regardant la Macqueron, dans le plant voisin, elle qui etait si fiere de sa Berthe, a cause de son teint de demoiselle!... V'la la petite qui jaunit et qui se desseche bigrement. IV 187
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—Oui, il fait bon, repeta enfin J
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Buteau, sous les coups, commencait
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son elan, tapant de la tete ainsi q
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alle jusqu'au bout, sans omettre un
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La Terre C'etait pour les Charles u
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Lorsque, vers neuf heures, Jean eut
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souffrir dans cette vie. Lorsque De
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