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Émile Zola - La Terre

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<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Ah! si nous n'avions pas cet ange, conclut M. Charles, nous aurions vraiment trop de chagrin, a cause de ce<br />

que je vous ai dit.... Avec ca, mes rosiers et mes oeillets ont souffert cette annee, et j'ignore ce qui se passe<br />

dans ma voliere, tous mes oiseaux sont malades. <strong>La</strong> peche seule me console un peu, j'ai pris une truite de trois<br />

livres, hier.... N'est−ce pas? quand on est a la campagne, c'est pour etre heureux.<br />

On se quitta. Les Charles repeterent leur promesse d'aller gouter le vin nouveau. Fouan, Buteau et<br />

Jesus−Christ firent quelques pas en silence, puis le vieux resuma leur opinion.<br />

—Un chancard tout de meme, le cadet qui l'aura avec la maison, cette gamine!<br />

Le tambour de Rognes avait battu le ban des vendanges; et, le lundi matin, tout le pays fut en l'air, car chaque<br />

habitant avait sa vigne, pas une famille n'aurait manque, ce jour−la, d'aller en besogne sur le coteau de l'Aigre.<br />

Mais ce qui achevait d'emotionner le village, c'etait que la veille, a la nuit tombee, le cure, un cure dont la<br />

commune se donnait enfin le luxe, etait debarque devant l'eglise. Il faisait deja si sombre, qu'on l'avait mal vu.<br />

Aussi les langues ne tarissaient−elles pas, d'autant plus que l'histoire en valait surement la peine.<br />

Apres sa brouille avec Rognes, pendant des mois, l'abbe Godard s'etait obstine a ne pas y remettre les pieds. Il<br />

baptisait, confessait, mariait ceux qui venaient le trouver a Bazoches−le−Doyen; quant aux morts, ils auraient<br />

sans doute seche a l'attendre; mais le point resta obscur, personne ne s'etant avise de mourir, pendant cette<br />

grande querelle. Il avait declare a monseigneur qu'il aimait mieux se faire casser que de rapporter le bon Dieu<br />

dans un pays d'abomination, ou on le recevait, si mal, tous paillards et ivrognes, tous damnes, depuis qu'ils ne<br />

croyaient plus au diable; et monseigneur le soutenait evidemment, laissait aller les choses, en attendant la<br />

contrition de ce troupeau rebelle. Donc, Rognes etait sans pretre: plus de messe, plus rien, l'etat sauvage.<br />

D'abord, il y avait eu un peu de surprise; mais, au fond, ma foi! ca ne marchait pas plus mal qu'auparavant. On<br />

s'accoutumait, il ne pleuvait ni ne ventait davantage, sans compter que la commune y economisait gros. Alors,<br />

puisqu'un pretre n'etait point indispensable, puisque l'experience prouvait que les recoltes n'y perdaient rien et<br />

qu'on n'en mourait pas plus vite, autant valait−il s'en passer toujours. Beaucoup se montraient de cet avis, non<br />

seulement les mauvaises tetes comme Lengaigne, mais encore des hommes de bon sens, qui savaient calculer,<br />

Delhomme par exemple. Seulement, beaucoup aussi se vexaient de n'avoir pas de cure. Ce n'etait point qu'ils<br />

fussent plus religieux que les autres: un Dieu de rigolade qui avait cesse de les faire trembler, ils s'en<br />

fichaient! Mais pas de cure, ca semblait dire qu'on etait trop pauvre ou trop avare pour s'en payer un; enfin, on<br />

avait l'air au−dessous de tout, des riens de rien qui n'auraient pas depense dix sous a de l'inutile. Ceux de<br />

Magnolles, ou ils n'etaient que deux cent quatre−vingt−trois, dix de moins qu'a Rognes, nourrissaient un cure,<br />

qu'ils jetaient a la tete de leurs voisins, avec une facon de rire si provocante, que ca finirait certainement par<br />

des claques. Et puis, les femmes avaient des habitudes, pas une n'aurait consenti bien sur a etre mariee ou<br />

enterree sans pretre. Les hommes eux−memes allaient des fois a l'eglise, aux grandes fetes, parce que tout le<br />

monde y allait. Bref, il y avait toujours eu des cures, et quitte a s'en foutre, il en fallait un.<br />

Naturellement, le conseil municipal fut saisi de la question. Le maire, Hourdequin, qui, sans pratiquer,<br />

soutenait la religion par principe autoritaire, commit la faute politique de ne pas prendre parti, dans une<br />

pensee conciliante. <strong>La</strong> commune etait pauvre, a quoi bon la grever des frais, gros pour elle, que necessiterait la<br />

reparation du presbytere? d'autant plus qu'il esperait ramener l'abbe Godard. Or, il arriva que ce fut<br />

Macqueron, l'adjoint, jadis l'ennemi de la soutane, qui se mit a la tete des mecontents, humilies de n'avoir pas<br />

un cure a eux. Ce Macqueron dut nourrir des lors l'idee de renverser le maire, pour prendre sa place; et l'on<br />

disait, d'ailleurs, qu'il etait devenu l'agent de M. Rochefontaine, l'usinier de Chateaudun, qui allait se porter de<br />

nouveau contre M. de Chedeville, aux elections prochaines. Justement, Hourdequin, fatigue, ayant a la ferme<br />

de grands soucis, se desinteressait des seances, laissait agir son adjoint; de telle sorte que le conseil, gagne par<br />

celui−ci, vota les fonds necessaires a l'erection de la commune en paroisse. Depuis qu'il s'etait fait payer son<br />

terrain exproprie, lors du nouveau chemin, apres avoir promis de le ceder gratuitement, les conseillers le<br />

traitaient de filou, mais lui temoignaient une grande consideration. Lengaigne seul protesta contre le vote qui<br />

livrait le pays aux jesuites. Becu aussi grognait, expulse du presbytere et du jardin, loge maintenant dans une<br />

IV 186

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