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Émile Zola - La Terre

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—Ah! ouiche! j'ai vu justement ce matin quelqu'un de Chartres. C'est a cause de ca que nous sommes si<br />

ennuyes.... Une maison finie! On se bat dans les corridors, on ne paye meme plus, tant la surveillance est mal<br />

faite!<br />

Il croisa les bras, il respira fortement, pour se soulager de ce qui l'etouffait surtout, un grief nouveau dont il<br />

n'avait pas digere l'enormite depuis le matin.<br />

—Et croyez−vous que le miserable va au cafe, maintenant!... Au cafe! au cafe! quand on en a un chez soi!<br />

—Foutu alors! dit d'un air convaincu Jesus−Christ, qui ecoutait.<br />

Ils se turent, car Mme Charles et Elodie se rapprochaient avec Buteau. A present, tous trois parlaient de la<br />

defunte, la jeune fille disait combien elle etait restee triste, de n'avoir pu embrasser sa pauvre maman. Elle<br />

ajouta, de son air simple:<br />

—Mais il parait que le malheur a ete si brusque, et qu'on travaillait si fort, a la confiserie....<br />

—Oui, pour des baptemes, se hata de dire Mme Charles, en clignant les yeux, tournee vers les autres.<br />

D'ailleurs, pas un n'avait souri, tous compatissaient, d'un branle du menton. Et la petite, dont le regard s'etait<br />

abaisse sur une bague qu'elle portait, la baisa, pleurante.<br />

—Voila tout ce qu'on m'a donne d'elle.... Grand'mere la lui a prise au doigt, pour la mettre au mien.... Elle la<br />

portait depuis vingt ans, moi je la garderai toute ma vie.<br />

C'etait une vieille alliance d'or, un de ces bijoux de grosse joaillerie commune, si usee, que les guillochures en<br />

avaient presque disparu. On sentait que la main ou elle s'etait elimee ainsi, ne reculait devant aucune besogne,<br />

toujours active, dans les vases a laver, dans les lits a refaire, frottant, essuyant, torchonnant, se fourrant<br />

partout. Et elle racontait tant de choses, cette bague, elle avait laisse de son or au fond de tant d'affaires, que<br />

les hommes la regardaient fixement, les narines elargies, sans un mot.<br />

—Quand tu l'auras usee autant que ta mere, dit M. Charles, etrangle d'une soudaine emotion, tu pourras te<br />

reposer.... Si elle parlait, elle t'apprendrait comment on gagne de l'argent, par le bon ordre et le travail.<br />

Elodie, en larmes, avait colle de nouveau ses levres sur le bijou.<br />

—Tu sais, reprit Mme Charles, je veux que tu te serves de cette alliance, quand nous te marierons.<br />

Mais, a ce dernier mot, a cette idee du mariage, la jeune fille, dans son attendrissement, eprouva une secousse<br />

si forte, un tel exces de confusion, qu'elle se jeta, eperdue, sur le sein de sa grand'mere, pour y cacher son<br />

visage. Celle−ci la calma, en souriant.<br />

—Voyons, n'aie pas honte, mon petit lapin.... Il faut que tu t'habitues, il n'y a point la de vilaines choses.... Je<br />

ne dirais pas de vilaines choses en ta presence, bien sur.... Ton cousin Buteau demandait tout a l'heure ce que<br />

nous allions faire de toi. Nous commencerons par te marier.... Voyons, voyons, regarde−nous, ne te frotte pas<br />

contre mon chale. Tu vas t'enflammer la peau.<br />

Puis, aux autres, tout bas, d'un air de satisfaction profonde:<br />

—Hein? est−ce eleve? ca ne sait rien de rien!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

IV 185

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