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Émile Zola - La Terre

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Justement, Canon, qui n'avait pas paru depuis deux mois, etait la, assis sur une pierre, a attendre Jesus−Christ.<br />

Des qu'il l'apercut, il lui cria:<br />

—Dis donc, ta fille est dans le bois aux Pouillard, et y a un homme dessus.<br />

Du coup, le pere manqua crever d'indignation, le sang au visage.<br />

—Salope qui me deshonore!<br />

Et, decrochant le grand fouet de roulier, derriere la porte, il devala par la pente rocheuse jusqu'au petit bois.<br />

Mais les oies de la Trouille la gardaient comme de bons chiens, quand elle etait sur le dos. Tout de suite, le<br />

jars flaira le pere, s'avanca, suivi de la bande. Les ailes soulevees, le cou tendu, il sifflait, dans une menace<br />

continue et stridente, tandis que les oies, deployees en ligue de bataille, allongeaient des cous pareils, leurs<br />

grands becs jaunes ouverts, prets a mordre. Le fouet claquait, et l'on entendit une fuite de bete sous les<br />

feuilles. <strong>La</strong> Trouille, avertie, avait file.<br />

Jesus−Christ, lorsqu'il eut raccroche le fouet, sembla envahi d'une grande tristesse philosophique. Peut−etre le<br />

devergondage entete de sa fille lui faisait−il prendre en pitie les passions humaines. Peut−etre etait−il<br />

simplement revenu de la gloire, depuis son triomphe, a Cloyes. Il secoua sa tete inculte de crucifie chapardeur<br />

et soulard, il dit a Canon:<br />

—Tiens! veux−tu savoir? tout ca ne vaut pas un pet.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Et, levant la cuisse, au−dessus de la vallee noyee d'ombre, il en fit un, dedaigneux et puissant, comme pour en<br />

ecraser la terre.<br />

IV<br />

On etait aux premiers jours d'octobre, les vendanges allaient commencer, belle semaine de godaille, ou les<br />

familles desunies se reconciliaient d'habitude, autour des pots de vin nouveau. Rognes puait le raisin pendant<br />

huit jours; on en mangeait tant, que les femmes se troussaient et les hommes posaient culotte, au pied de<br />

chaque haie; et les amoureux, barbouilles, se baisaient a pleine bouche, dans les vignes. Ca finissait par des<br />

hommes souls et des filles grosses.<br />

Des le lendemain de leur retour de Cloyes, Jesus−Christ se mit a chercher le magot; car le vieux ne promenait<br />

peut−etre pas sur lui son argent et ses titres, il devait les serrer dans quelque trou. Mais la Trouille eut beau<br />

aider son pere, ils retournerent la maison sans rien trouver d'abord, malgre leur malice et leur nez fin de<br />

maraudeurs; et ce fut seulement la semaine suivante, que le braconnier, par hasard, en descendant d'une<br />

planche une vieille marmite felee, dont on ne se servait plus, y decouvrit, sous des lentilles, un paquet de<br />

papiers, enveloppe soigneusement dans la toile gommee d'un fond de chapeau. Du reste, pas un ecu. L'argent,<br />

sans doute, dormait ailleurs: un fameux tas, puisque le pere, depuis cinq ans, ne depensait rien. C'etaient bien<br />

les titres, il y avait trois cents francs de rente, en cinq pour cent. Comme Jesus−Christ les comptait, les flairait,<br />

il decouvrit une autre feuille, un papier timbre, couvert d'une grosse ecriture, dont la lecture le stupefia. Ah!<br />

nom de Dieu! voila donc ou passait l'argent!<br />

Une histoire a crever! Quinze jours apres avoir partage son bien chez le notaire, Fouan etait tombe malade,<br />

tellement ca lui brouillait le coeur, de n'avoir plus rien a lui, pas meme grand comme la main de ble. Non! il<br />

ne pouvait vivre ainsi, il y aurait perdu la peau. Et c'etait alors qu'il avait fait la betise, une vraie betise de<br />

vieux passionne donnant ses derniers sous pour retourner en secret a la gueuse qui le trompe. Lui, un finaud<br />

dans son temps, ne s'etait−il pas laisse entortiller par un ami, le pere Saucisse! Ca devait le tenir bien fort, ce<br />

furieux desir de posseder, qu'ils ont dans les os comme une rage, tous les anciens males, uses a engrosser la<br />

IV 182

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