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Émile Zola - La Terre

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Dehors, dans la rue Grande, a la porte du Bon <strong>La</strong>boureur, Fouan lacha Jesus−Christ au milieu du tumulte du<br />

marche; et, d'ailleurs, celui−ci, qui ricanait en dessous, y mit de la complaisance, se doutant bien de quelle<br />

affaire il s'agissait. Tout de suite, en effet, le vieux fila rue Beaudonniere, ou M. Hardy, le percepteur, habitait<br />

une petite maison gaie, entre cour et jardin. C'etait un gros homme colore et jovial, a la barbe noire bien<br />

peignee, redoute des paysans, qui l'accusaient de les etourdir avec des histoires. Il les recevait dans un etroit<br />

bureau, une piece coupee en deux par une balustrade, lui d'un cote et eux de l'autre. Souvent, il y en avait la<br />

une douzaine, debout, serres, empiles. Pour le moment, il ne s'y trouvait tout juste que Buteau, qui arrivait.<br />

Jamais Buteau ne se decidait a payer ses contributions d'un coup. Lorsqu'il recevait le papier, en mars, c'etait<br />

de la mauvaise humeur pour huit jours. Il epluchait rageusement le foncier, la taxe personnelle, la taxe<br />

mobiliere, l'impot des portes et fenetres; mais ses grandes coleres etaient les centimes additionnels, qui<br />

montaient d'annee en annee, disait−il. Puis, il attendait de recevoir une sommation sans frais. Ca lui faisait<br />

toujours gagner une semaine. Il payait ensuite par douzieme, chaque mois, en allant au marche; et, chaque<br />

mois, la meme torture recommencait, il en tombait malade la veille, il apportait son argent comme il aurait<br />

apporte son cou a couper. Ah! ce sacre gouvernement! en voila un qui volait le monde!<br />

—Tiens! c'est vous, dit gaillardement M. Hardy. Vous faites bien de venir, j'allais vous faire des frais.<br />

—Il n'aurait plus manque que ca! grogna Buteau. Et vous savez que je ne paye pas les six francs dont vous<br />

m'avez augmente le foncier.... Non, non, ce n'est pas juste!<br />

Le percepteur se mit a rire.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Si, chaque mois, vous chantez cet air−la! Je vous ai deja explique que votre revenu avait du s'accroitre avec<br />

vos plantations, sur votre ancien pre de l'Aigre. Nous nous basons la−dessus, nous autres!<br />

Mais Buteau se debattit violemment. Ah! oui, son revenu s'accroitre! C'etait comme son pre, autrefois de<br />

soixante−dix ares, qui n'en avait plus que soixante−huit, depuis que la riviere, en se deplacant, lui en avait<br />

mange deux: eh bien! il payait toujours pour les soixante−dix, est−ce que c'etait de la justice, ca? M. Hardy<br />

repondit tranquillement que les questions cadastrales ne le regardaient pas, qu'il fallait attendre qu'on refit le<br />

cadastre. Et, sous pretexte de reprendre ses explications, il l'accabla de chiffres, de mots techniques auxquels<br />

l'autre ne comprenait rien. Puis, de son air goguenard, il conclut:<br />

—Apres tout, ne payez pas, je m'en fiche, moi! Je vous enverrai l'huissier.<br />

Effraye, ahuri, Buteau rentra sa rage. Quand on n'est pas le plus fort, faut bien ceder; et sa haine seculaire<br />

venait encore de grandir, avec sa peur, contre ce pouvoir obscur et complique qu'il sentait au−dessus de lui,<br />

l'administration, les tribunaux, ces feignants de bourgeois, comme il disait. Lentement, il sortit sa bourse. Ses<br />

gros doigts tremblaient, il avait recu beaucoup de sous au marche, et il tatait chaque sou avant de le poser<br />

devant lui. Trois fois, il refit son compte, tout en sous, ce qui lui dechirait le coeur davantage, d'avoir a en<br />

donner un si gros tas. Enfin, les yeux troubles, il regardait le percepteur encaisser la somme, lorsque le pere<br />

Fouan parut.<br />

Le vieux n'avait pas reconnu le dos son fils, et il resta saisi, quand celui−ci se retourna.<br />

—Et ca va bien, monsieur Hardy? begaya−t−il. Je passais, j'ai eu l'idee de vous dire un petit bonjour.... On ne<br />

se voit quasiment plus....<br />

Buteau ne fut pas dupe. Il salua, s'en alla d'un air presse; et, cinq minutes plus tard, il rentrait, comme pour<br />

demander un renseignement oublie, au beau moment ou le percepteur, payant les coupons, etalait devant le<br />

vieux un trimestre, soixante−quinze francs, en pieces de cent sous. Son oeil flamba, mais il evita de regarder<br />

III 180

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