05.07.2013 Views

Émile Zola - La Terre

Émile Zola - La Terre

Émile Zola - La Terre

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

—Maintenant, retourne−toi.<br />

Il comprit, ne bougea pas, serra les fesses.<br />

—Retourne−toi ou je te retourne!<br />

Il vit bien qu'il fallait se resigner. <strong>La</strong>mentable, il se tourna, il presenta de lui−meme son pauvre petit derriere<br />

de chat maigre. L'autre, alors, prenant son elan, lui planta son pied au bon endroit, si raide, qu'il l'envoya<br />

tomber sur le nez, a quatre pas. Et l'huissier, qui se relevait peniblement, se mit a galoper, eperdu, en<br />

entendant ce cri:<br />

—Attention! je tire!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Jesus−Christ venait d'epauler. Seulement, il se contenta de lever la cuisse, et, pan! il en fit claquer un, d'une<br />

telle sonorite, que, terrifie par la detonation, Vimeux s'etala de nouveau. Cette fois, son chapeau noir avait<br />

roule parmi les cailloux. Il le suivit, le ramassa, courut plus fort. Derriere lui, les coups de feu continuaient,<br />

pan! pan! pan! sans un arret, une vraie fusillade, au milieu de grands rires, qui achevaient de le rendre<br />

imbecile. <strong>La</strong>nce sur la pente ainsi qu'un insecte sauteur, il etait a cent pas deja, que les echos du vallon<br />

repetaient encore la canonnade de Jesus−Christ. Toute la campagne en etait pleine, et il y en eut un dernier,<br />

formidable, lorsque l'huissier, rapetisse a la taille d'une fourmi, la−bas, disparut dans Rognes. <strong>La</strong> Trouille,<br />

accourue au bruit, se tenait le ventre, par terre, en gloussant comme une poule. Le pere Fouan avait retire sa<br />

pipe de la bouche, afin de rire plus a l'aise. Ah! ce nom de Dieu de Jesus−Christ! quel pas grand'chose! mais<br />

bien rigolo tout de meme!<br />

<strong>La</strong> semaine suivante, il fallut cependant que le vieux se decidat a donner sa signature, pour la vente de la terre.<br />

M. Baillehache avait un acquereur, et le plus sage etait de suivre son conseil. Il fut donc decide que le pere et<br />

le fils iraient a Cloyes, le troisieme samedi de septembre, veille de la Saint−Lubin, l'une des deux fetes de la<br />

ville. Justement, le pere qui, depuis juillet, avait a toucher chez le percepteur la rente des titres qu'il cachait,<br />

comptait profiter du voyage, en egarant son fils au milieu de la fete. On irait et on reviendrait de meme, en<br />

carrosse dans ses souliers.<br />

Comme Fouan et Jesus−Christ, a la porte de Cloyes, attendaient qu'un train eut passe, debout devant la<br />

barriere fermee du passage a niveau, ils furent rejoints par Buteau et Lise, qui arrivaient dans leur carriole.<br />

Tout de suite, une querelle eclata entre les deux freres, ils se couvrirent d'injures jusqu'a ce que la barriere fut<br />

ouverte; et meme, emporte de l'autre cote, a la descente, par son cheval, Buteau se retournait, la blouse<br />

gonflee de vent, pour crier encore des choses qui n'etaient pas a dire.<br />

—Va donc, feignant, je nourris ton pere! gueula Jesus−Christ de toute sa force, en se faisant un porte−voix de<br />

ses deux mains.<br />

Rue Grouaise, chez M. Baillehache, Fouan passa un fichu moment; d'autant plus que l'etude etait envahie, tout<br />

le monde utilisant le jour du marche, et qu'il dut attendre pres de deux heures; Ca lui rappela le samedi ou il<br />

etait venu decider le partage: bien sur que, ce samedi−la, il aurait mieux fait d'aller se pendre. Quand le<br />

notaire les recut enfin et qu'il fallut signer, le vieux chercha ses lunettes, les essuya; mais ses yeux pleins d'eau<br />

les brouillaient, sa main tremblait, si bien qu'on fut oblige de lui poser les doigts sur le papier, au bon endroit,<br />

pour qu'il y mit son nom, dans un pate d'encre. Ca lui avait tellement coute qu'il en suait, hebete, grelottant,<br />

regardant autour de lui, comme, apres une operation, quand on vous a coupe la jambe et qu'on la cherche. M.<br />

Baillehache sermonnait severement Jesus−Christ; et il les renvoya en dissertant sur la loi: la demission de<br />

biens etait immorale, on arriverait certainement a en elever les droits, pour l'empecher de se substituer a<br />

l'heritage.<br />

III 179

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!