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Émile Zola - La Terre

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dans un mouvement d'aisance et de cranerie, il appelait sa fille, d'une voix pressante de commandement, l'air<br />

severe:<br />

—<strong>La</strong> Trouille, vite ici, nom de Dieu!<br />

Elle accourait, le coup partait, faisait balle dans le vide, si vibrant, qu'elle en sautait.<br />

—Cours apres! et passe−le entre tes dents, voir s'il y a des noeuds!<br />

D'autres fois, quand elle arrivait, il lui donnait sa main.<br />

—Tire donc, chiffon! faut que ca craque!<br />

Et, des que l'explosion s'etait produite, avec le tumulte et le bouillonnement d'une mine trop bourree:<br />

—Ah! c'est dur, merci tout de meme!<br />

Ou encore il mettait en joue un fusil imaginaire, visait longuement; puis, l'arme dechargee:<br />

—Va chercher, apporte, feignante!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

<strong>La</strong> Trouille suffoquait, tombait sur son derriere, tant elle riait. C'etait une gaiete toujours renouvelee et<br />

grandissante: elle avait beau connaitre le jeu, s'attendre au tonnerre final, il l'emportait quand meme dans le<br />

comique vivace de sa turbulence. Oh! ce pere, etait−il assez rigolo! Tantot, il parlait d'un locataire qui ne<br />

payait pas son terme et qu'il flanquait dehors; tantot, il se retournait avec surprise, saluait gravement, comme<br />

si la table avait dit bonjour; tantot, il en avait tout un bouquet, pour M. le cure, pour M. le maire, et pour les<br />

dames. On aurait cru que le gaillard tirait de son ventre ce qu'il voulait, une vraie boite a musique; si bien<br />

qu'au Bon <strong>La</strong>boureur, a Cloyes, on pariait: “Je te paye un verre, si tu en fais six", et il en faisait six, il gagnait<br />

a tous coups. Ca tournait a de la gloire, la Trouille en etait fiere, amusee, se tordant d'avance, des qu'il levait la<br />

cuisse, en admiration continuelle devant lui, dans la terreur et la tendresse qu'il lui inspirait.<br />

Et, le soir de l'installation du pere Fouan au Chateau, ainsi qu'on nommait l'ancienne cave ou se terrait le<br />

braconnier, des le premier repas que la fille servit a son pere et a son grand−pere, debout derriere eux en<br />

servante respectueuse, la gaiete sonna ainsi, tres haut. Le vieux avait donne cent sous, une bonne odeur se<br />

repandait, des haricots rouges et du veau aux oignons, que la petite cuisinait a s'en lecher les doigts. Comme<br />

elle apportait les haricots, elle faillit casser le plat, en se pamant. Jesus−Christ, avant de s'asseoir, en lachait<br />

trois, reguliers et claquant sec.<br />

—Le canon de la fete!... C'est pour dire que ca commence!<br />

Puis, se recueillant, il en fit un quatrieme, solitaire, enorme et injurieux.<br />

—Pour ces rosses de Buteau! qu'ils se bouchent la gueule avec!<br />

Du coup, Fouan, sombre depuis son arrivee, ricana. Il approuva d'un branle de la tete. Ca le mettait a l'aise, on<br />

le citait comme un farceur, lui aussi, en son temps; et, dans sa maison, les enfants avaient grandi, tranquilles<br />

au milieu du bombardement paternel. Il posa les coudes sur la table, il se laissa envahir d'un bien−etre, en face<br />

de ce grand diable de Jesus−Christ, qui le contemplait, les yeux humides, de son air de canaille bon enfant.<br />

—Ah! nom de Dieu! papa, ce que nous allons nous la couler douce! Vous verrez mon truc, je me charge de<br />

vous desemmerder, moi!... Quand vous serez a manger la terre avec les taupes, est−ce que ca vous avancera,<br />

III 172

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