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Émile Zola - La Terre

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—Dis que tu as menti, sale cochon, dis que tu as menti, ou je vas te faire danser, aussi vrai que cette chandelle<br />

nous eclaire!<br />

<strong>La</strong> main haute, il menacait, du geste dont il les faisait tous rentrer en terre, autrefois.<br />

—Dis que tu as menti...<br />

Buteau, qui, au vent de la gifle, dans sa jeunesse, levait le coude et se garait, en claquant des dents, se contenta<br />

de hausser les epaules, d'un air de moquerie insultante.<br />

—Si vous croyez que vous me faites peur!... C'etait bon quand vous etiez le maitre, des machines comme ca.<br />

—Je suis le maitre, le pere.<br />

—Allons donc, vieux farceur, vous n'etes rien du tout.... Ah! vous ne voulez pas me foutre la paix!<br />

Et, voyant la main vacillante du vieillard s'abaisser pour taper, il la saisit au vol, il la garda, l'ecrasa dans sa<br />

poigne rude.<br />

—Sacre tetu que vous etes, faut donc qu'on se fache pour vous entrer dans la caboche qu'on se fiche de vous, a<br />

cette heure!... Est−ce que vous etes bon a quelque chose? Vous coutez, v'la tout!... Lorsqu'on a fait son temps<br />

et qu'on a passe la terre aux autres, on avale sa chique, sans les emmerder davantage!<br />

Il secouait son pere, en appuyant sur les mots; puis, d'une derniere secousse, il l'envoya, grelottant, trebuchant,<br />

tomber a reculons sur une chaise, pres de la fenetre. Et le vieux resta la, a suffoquer une minute, vaincu, dans<br />

l'humiliation de son ancienne autorite morte. C'etait fini, il ne comptait plus, depuis qu'il s'etait depouille.<br />

Un grand silence regna, tous demeuraient les mains ballantes. Les enfants n'avaient pas souffle, de peur des<br />

gifles. Puis, la besogne reprit, comme s'il ne s'etait rien passe.<br />

—Et l'herbe? demanda Lise, est−ce qu'on la laisse dans la cour?<br />

—Je vas la mettre au sec, repondit Francoise.<br />

Lorsqu'elle fut rentree et qu'on eut dine, Buteau, incorrigible, enfonca la main dans son corsage ouvert, pour<br />

chercher une puce, qui la piquait, disait−elle. Cela ne la fachait plus, elle plaisanta meme.<br />

—Non, non, elle est quelque part ou ca te mordrait.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Fouan n'avait pas bouge, raidi et muet dans son coin d'ombre. Deux grosses larmes coulaient sur ses joues. Il<br />

se rappelait le soir ou il avait rompu avec les Delhomme; et c'etait ce soir−la qui recommencait, la meme<br />

honte de n'etre plus le maitre, la meme colere qui le faisait s'enteter a ne pas manger. On l'avait appele trois<br />

fois, il refusait sa part de soupe. Brusquement, il se leva, disparut dans sa chambre. Le lendemain, des l'aube,<br />

il quittait les Buteau, pour s'installer chez Jesus−Christ.<br />

III<br />

Jesus−Christ etait tres venteux, de continuels vents soufflaient dans la maison et la tenaient en joie. Non,<br />

fichtre! on ne s'embetait pas chez le bougre, car il n'en lachait pas un sans l'accompagner d'une farce. Il<br />

repudiait ces bruits timides, etouffes entre deux cuirs, fusant avec une inquietude gauche; il n'avait jamais que<br />

des detonations franches, d'une solidite et d'une ampleur de coup de canon; et, chaque fois, la cuisse levee,<br />

III 171

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