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Émile Zola - La Terre

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<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

plus, car elle se doutait de la scene qui l'attendait. <strong>La</strong> nuit tombait deja, et Buteau, furieux, sortait a chaque<br />

minute dans la cour, allait jusqu'a la route, guetter si cette garce−la, enfin, revenait du male. Il jurait tout haut,<br />

lachait des ordures, sans voir le pere Fouan, qui s'etait assis sur le banc de pierre, apres la querelle, se calmant,<br />

respirant la douceur tiede, qui faisait de ce novembre ensoleille un mois de printemps.<br />

Un bruit de sabots monta de la pente, Francoise parut, pliee en deux, les epaules chargees d'un enorme paquet<br />

d'herbes, qu'elle avait noue dans une vieille toile. Elle soufflait, elle suait, a moitie cachee sous le tas.<br />

—Ah! nom de Dieu de trainee! cria Buteau, si tu crois que tu vas te foutre de moi a te faire raboter depuis<br />

deux heures par ton galant, lorsqu'il y a de la besogne ici!<br />

Et il la culbuta dans le paquet d'herbe qui etait tombe, il se rua sur elle, juste au moment ou Lise, a son tour,<br />

sortait de la maison pour l'engueuler.<br />

—Eh! Marie−dort−en−chiant, arrive donc, que je te colle mon pied dans le derriere!... Tu n'as pas honte!<br />

Mais Buteau, deja, avait empoigne la fille sous la jupe, a pleine main. Son enragement tournait toujours en un<br />

coup brusque de desir. Tandis qu'il la troussait sur l'herbe, il grognait, etrangle, la face bleuie et gonflee de<br />

sang.<br />

—Sacree cateau, faut cette fois que j'y passe a mon tour.... Quand le tonnerre de Dieu y serait, je vas y passer<br />

apres l'autre!<br />

Alors, une lutte furieuse s'engagea. Le pere Fouan distinguait mal, dans la nuit. Mais il vit pourtant Lise,<br />

debout, qui regardait et laissait faire; pendant que son homme, vautre, jete de cote a chaque seconde, s'epuisait<br />

en vain, se satisfaisait quand meme, au petit bonheur, n'importe ou.<br />

Quand ce fut fini, Francoise, d'une derniere secousse, put se degager, ralante, begayante.<br />

—Cochon! cochon? cochon!... Tu n'as pas pu, ca ne compte pas.... Je m'en fiche, de ca! jamais tu n'y<br />

arriveras, jamais!<br />

Elle triomphait, elle avait pris une poignee d'herbe, et elle s'en essuyait la jambe, dans un tremblement de tout<br />

son corps, comme si elle se fut contentee elle−meme un peu, a cette obstination de refus. D'un geste de<br />

bravade, elle jeta la poignee d'herbe aux pieds de sa soeur.<br />

—Tiens! c'est a toi.... Ce n'est pas ta faute, si je te le rends!<br />

Lise, d'une gifle, lui fermait la bouche, lorsque le pere Fouan, qui avait quitte le banc de pierre, revolte,<br />

intervint en brandissant sa canne.<br />

—Bougres de saligots, tous les deux! voulez−vous bien la laisser tranquille!... En v'la assez, hein?<br />

Des lumieres paraissaient chez les voisins, on commencait a s'inquieter de cette tuerie, et Buteau se hata de<br />

pousser son pere et la petite au fond de la cuisine, ou une chandelle eclairait <strong>La</strong>ure et Jules terrifies, refugies<br />

dans un coin. Lise rentra aussi, saisie et muette depuis que le vieux etait sorti de l'ombre. Il continuait,<br />

s'adressant a elle:<br />

—Toi, c'est trop degoutant et trop bete.... Tu regardais, je t'ai vue.<br />

Buteau, de toute sa force, allongea un coup de poing au bord de la table.<br />

II 169

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