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Émile Zola - La Terre

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de recommencer ca, avec ce garcon. Elle ne le detestait pas, elle n'avait pas envie de lui, simplement; et il<br />

fallait qu'elle ne le desirat vraiment guere, pour ne point defaillir et se livrer, lorsqu'elle tombait entre ses bras,<br />

derriere une haie, encore furieuse et rouge d'une attaque de Buteau. Ah! le cochon! Elle ne parlait que de ce<br />

cochon−la, passionnee, excitee, tout d'un coup refroidie, des que l'autre voulait profiter et la prendre. Non,<br />

non, ca lui faisait honte! Un jour, poussee a bout, elle le remit a plus tard, au soir de leur mariage. C'etait la<br />

premiere fois qu'elle s'engageait, car elle avait evite jusque−la de repondre nettement, quand il la demandait<br />

pour femme. Des lors, ce fut comme entendu: il l'epouserait, mais apres sa majorite, aussitot qu'elle serait<br />

maitresse de son bien et qu'elle pourrait exiger des comptes. Cette bonne raison le frappa, il lui precha la<br />

patience, il cessa de la tourmenter, excepte dans les moments ou l'idee de rire le tenait trop fort. Elle,<br />

soulagee, tranquillisee par le vague de cette echeance lointaine, se contentait de lui saisir les deux mains pour<br />

l'empecher, en le regardant de ses jolis yeux suppliants, d'un air de femme susceptible qui ne desirait risquer<br />

d'avoir un petit que de son homme.<br />

Cependant, Buteau, certain qu'elle n'etait pas enceinte, avait une autre crainte, celle qu'elle ne le devint, si elle<br />

retournait avec Jean. Il continuait de le defier, et il tremblait, car on lui rapportait de partout que celui−ci jurait<br />

de remplir Francoise jusqu'aux yeux, comme jamais fille n'avait ete pleine. Aussi, la surveillait−il, du matin au<br />

soir, exigeant d'elle l'emploi de chacune de ses minutes, la tenant a l'attache, sous la menace du fouet, ainsi<br />

qu'une bete domestique dont on craint les farces; et c'etait un supplice nouveau, elle sentait toujours derriere<br />

ses jupes son beau−frere ou sa soeur, elle ne pouvait aller au trou a fumier pour un besoin, sans rencontrer un<br />

oeil qui l'epiait. <strong>La</strong> nuit, on l'enfermait dans sa chambre; meme, au soir, apres une dispute, elle avait trouve un<br />

cadenas condamnant le volet de sa lucarne. Puis, comme elle parvenait quand meme a s'echapper, il y avait a<br />

son retour d'abominables scenes, des interrogatoires, parfois des visites, le mari l'empoignant aux epaules,<br />

tandis que la femme la deshabillait a moitie, pour voir. Elle en fut rapprochee de Jean, elle en arriva a lui<br />

donner des rendez−vous, heureuse de braver les autres. Peut−etre lui aurait−elle cede enfin, si elle les avait<br />

eus la, derriere elle. En tous cas, elle acheva de se promettre, elle lui jura, sur ce qu'elle avait de plus sacre,<br />

que Buteau mentait, lorsqu'il se vantait de coucher avec les deux soeurs, dans l'idee de faire le coq et de forcer<br />

a etre des choses qui n'etaient pas. Jean, tourmente d'un doute, trouvant au fond l'affaire possible et naturelle,<br />

parut la croire. Et, en se quittant, ils s'embrasserent, tres bons amis, si bien qu'a partir de ce jour, elle le prit<br />

pour confident et conseil, tachant de le voir a la moindre alerte, ne risquant rien sans son approbation. Lui, ne<br />

la touchait plus du tout, la traitait en camarade avec qui l'on a des interets communs.<br />

Maintenant, chaque fois que Francoise courait rejoindre Jean derriere un mur, la conversation etait la meme.<br />

Elle degrafait violemment son corsage, ou retroussait sa jupe.<br />

—Tiens! ce cochon−la m'a encore pincee.<br />

Il constatait, restait froid et resolu.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Ca se payera, faut montrer ca aux voisines.... Surtout, ne te revenge pas. <strong>La</strong> justice sera pour nous, quand<br />

nous aurons le droit.<br />

—Et ma soeur tiendrait la chandelle, tu sais! Est−ce qu'hier, lorsqu'il a saute sur moi, elle n'a pas file, au lieu<br />

de lui allonger par derriere un seau d'eau froide!<br />

—Ta soeur, elle finira mal avec ce bougre.... Tout ca est bon. Si tu ne veux pas, il ne peut pas, c'est sur; et,<br />

quant au reste, qu'est−ce que ca nous fiche?... Soyons d'accord, il est foutu.<br />

Le pere Fouan, bien qu'il evitat de s'en meler, etait de toutes les querelles. S'il se taisait, on le forcait a prendre<br />

parti; s'il sortait, il retombait au retour dans un menage en deroute, ou sa presence suffisait souvent a rallumer<br />

les coleres. Jusque−la, il n'avait pas souffert reellement, physiquement; tandis que commencaient a cette heure<br />

les privations, le pain mesure, les douceurs supprimees. On ne le bourrait plus de nourriture ainsi qu'aux<br />

II 167

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