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Émile Zola - La Terre

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d'eraflures et de contusions. Devant sa soeur, elle mettait surtout son courage a ne pas meme tressaillir, pour<br />

nier le fait, comme s'il n'eut pas ete vrai que ces doigts d'homme lui fouillaient la peau. Cependant, elle n'etait<br />

pas toujours maitresse de la revolte de ses muscles, elle repondait par un soufflet, a la volee; et, alors, il y<br />

avait des batailles, Buteau la rossait, tandis que Lise, sous pretexte de les separer, cognait sur les deux, a<br />

grands coups de sabot. <strong>La</strong> petite <strong>La</strong>ure et son frere Jules poussaient des hurlements. Tous les chiens d'alentour<br />

aboyaient, ca faisait pitie aux voisins. Ah! la pauvre enfant, elle avait de la constance, de rester dans cette<br />

galere!<br />

C'etait, en effet, l'etonnement de Rognes. Pourquoi Francoise ne se sauvait−elle pas? Les malins hochaient la<br />

tete: elle n'etait point majeure, il lui fallait attendre dix−huit mois; et se sauver, se mettre dans son tort, sans<br />

pouvoir emporter son bien, dame! elle avait raison d'y reflechir a deux fois. Encore si le pere Fouan, son<br />

tuteur, l'avait soutenue! Mais lui−meme n'etait guere a la noce, chez son fils. <strong>La</strong> peur des eclaboussures le<br />

faisait se tenir tranquille. D'ailleurs, la petite lui defendait de s'occuper de ses affaires, dans une bravoure et<br />

une fierte farouches de fille qui ne compte que sur elle.<br />

Desormais, toutes les querelles finissaient par les memes injures.<br />

—Mais fous donc le camp! fous donc le camp!<br />

—Oui, c'est ce que vous esperez.... Autrefois, j'etais trop bete, je voulais partir.... Maintenant, vous pouvez me<br />

tuer, je reste. J'attends ma part, je veux la terre et la maison, et je les aurai, oui! j'aurai tout!<br />

<strong>La</strong> crainte de Buteau, pendant les premiers mois, fut que Francoise se trouvat enceinte des oeuvres de Jean.<br />

Depuis qu'il les avait surpris, dans la meule, il calculait les jours, il la surveillait d'un oeil oblique, inquiet de<br />

son ventre; car la venue d'un enfant aurait tout gate, en necessitant le mariage. Elle, tranquille, savait bien<br />

qu'elle ne pouvait etre grosse. Mais, quand elle eut remarque qu'il s'interessait a sa taille, elle s'en amusa, elle<br />

fit expres de se tenir le ventre en avant, pour lui faire croire qu'il enflait. Maintenant, des qu'il l'empoignait,<br />

elle le sentait qui la tatait la, qui la mesurait de ses gros doigts; et elle finit par lui dire, d'un air de defi:<br />

—Va, il y en a un! il pousse!<br />

Un matin meme, elle plia des torchons qu'elle banda sur elle. On faillit se massacrer, le soir. Et une terreur la<br />

saisit, aux regards d'assassin qu'il lui jetait: bien sur que, si elle avait eu un vrai petit sous la peau, le brutal lui<br />

aurait allonge quelque mauvais coup, pour le tuer. Elle cessa les farces, rentra son ventre. D'ailleurs, elle le<br />

surprit dans sa chambre, le nez dans son linge sale, en train de s'assurer des choses.<br />

—Fais−en donc un! lui dit−il, goguenard.<br />

Et elle repondit, toute pale, rageuse:<br />

—Si je n'en fais pas, c'est que je ne veux pas.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

C'etait vrai, elle se refusait a Jean, avec obstination. Buteau n'en triompha pas moins bruyamment. Et il tomba<br />

sur l'amoureux: un beau male, je t'en fiche! il etait donc pourri, qu'il ne pouvait pas faire un enfant? Ca cassait<br />

le bras au monde, par traitrise; mais ca n'etait seulement pas capable d'emplir une fille, tellement ca manquait<br />

de nerf! Des lors, il poursuivit Francoise d'allusions, il l'accabla elle−meme de plaisanteries sur le cul de son<br />

chaudron qui fuyait.<br />

Lorsque Jean sut comment le traitait Buteau, il parla de lui casser la gueule; et il guettait toujours Francoise, il<br />

la suppliait de ceder: on verrait bien s'il ne lui collait pas un enfant, et un gros! Son desir, maintenant, se<br />

doublait de colere. Mais, chaque fois, elle trouvait une nouvelle excuse, dans l'ennui qu'elle eprouvait a l'idee<br />

II 166

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