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—C'est ma soeur, mais qu'elle ne recommence pas a m'aguicher, ou je te la flanque dehors!<br />
Lui, n'entendait pas de cette oreille.<br />
—Un joli coup! tout le pays nous tomberait dessus.... Nom de Dieu de femelles! c'est moi qui vas vous foutre<br />
a dessaler ensemble dans la mare, pour vous mettre d'accord!<br />
Deux mois encore se passerent, et Lise, bousculee, hors d'elle, aurait sucre deux fois son cafe, comme elle le<br />
disait, sans le trouver bon. Les jours ou sa soeur avait repousse une nouvelle attaque de son homme, elle le<br />
devinait a une recrudescence de mechante humeur; si bien qu'elle vivait maintenant dans la crainte de ces<br />
echecs de Buteau, anxieuse quand il filait sournoisement derriere la jupe de Francoise, certaine de le voir<br />
reparaitre brutal, cassant tout, torturant la maison. C'etaient des journees abominables, et elle ne les pardonnait<br />
point a la fichue entetee qui ne faisait rien pour arranger les choses.<br />
Un jour surtout, ce fut terrible. Buteau, qui etait descendu a la cave, avec Francoise, tirer du cidre, en remonta<br />
si mal arrange, si rageur, que pour une betise, pour sa soupe qui etait trop chaude, il lanca son assiette contre<br />
le mur, puis s'en alla, en renversant Lise d'une gifle a tuer un boeuf.<br />
Celle−ci se ramassa, pleurante, saignante, la joue enflee. Et elle se jeta sur sa soeur, elle cria:<br />
—Salope! couche avec, a la fin!... J'en ai assez, je file, moi! si tu t'obstines, pour me faire battre!<br />
Francoise l'ecoutait, saisie, toute pale.<br />
—Aussi vrai que Dieu m'entend, j'aime mieux ca!... Il nous fichera la paix peut−etre!<br />
Elle etait retombee sur une chaise, elle pleurait a petits sanglots; et toute sa grasse personne qui fondait, disait<br />
son abandon, son unique desir d'etre heureuse, meme au prix d'un partage. Du moment qu'elle garderait sa<br />
part, ca ne la priverait de rien. On se faisait des idees betes la−dessus, car ce n'etait bien sur pas comme le pain<br />
qui s'use a etre mange. Est−ce qu'on n'aurait pas du s'entendre, se serrer les uns contre les autres pour le bon<br />
accord, enfin vivre en famille?<br />
—Voyons, pourquoi ne veux−tu pas?<br />
Revoltee, etranglee, Francoise ne trouva que ce cri de colere:<br />
—Tu es plus degoutante que lui!<br />
<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />
Elle s'en alla de son cote sangloter dans l'etable, ou la Coliche la regarda de ses gros yeux troubles. Ce qui<br />
l'indignait, ce n'etait pas la chose en elle−meme, c'etait ce role de complaisance, le coup de noce tolere, la paix<br />
du menage. Si elle avait eu l'homme a elle, jamais elle n'en aurait cede un bout, pas meme grand comme ca!<br />
Sa rancune contre sa soeur devint du mepris, elle se jura d'y laisser toute la peau de son corps, plutot que de<br />
consentir, a present.<br />
Mais, des ce jour, la vie se gata davantage, Francoise devint le souffre−douleur, la bete sur qui l'on tapait. Elle<br />
etait rabaissee au role de servante, ecrasee de gros travaux, continuellement grondee, bousculee, meurtrie.<br />
Lise ne lui tolerait plus une heure de flane, la faisait sauter du lit avant l'aube, la gardait si tard, la nuit, que la<br />
malheureuse, parfois, s'endormait, sans avoir la force de se deshabiller. Sournoisement, Buteau la martyrisait<br />
de petites privautes, des claques sur les reins, des pincons aux cuisses, toutes sortes de caresses feroces, qui la<br />
laissaient en sang, les yeux pleins de larmes, raidie dans son obstination de silence. Lui, ricanait, s'y contentait<br />
un peu, quand il la voyait defaillir, en retenant le cri de sa chair blessee. Elle en avait le corps bleui, zebre<br />
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