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Émile Zola - La Terre

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<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Et il continua sa route. <strong>La</strong> Beauce, a l'infini, s'etendait, ecrasee sous un sommeil de plomb. On en sentait la<br />

desolation muette, les chaumes brules, la terre ecorchee et cuite, a une odeur de roussi, a la chanson des<br />

grillons qui crepitaient comme des braises dans de la cendre. Seules, des ombres de meules bossuaient cette<br />

nudite morne. Toutes les vingt secondes, au ras de l'horizon, les eclairs tracaient une raie violatre, rapide et<br />

triste.<br />

II<br />

Des le lendemain, Fouan alla s'installer chez les Buteau. Le demenagement ne derangea personne: deux<br />

paquets de hardes, que le vieux tint a porter lui−meme, et dont il fit deux voyages. Vainement, les Delhomme<br />

voulurent provoquer une explication. Il partit, sans repondre un mot.<br />

Chez les Buteau, on lui donna, derriere la cuisine, la grande piece du rez−de−chaussee, ou, jusque−la, on<br />

n'avait serre que la provision de pommes de terre et les betteraves pour les vaches. Le pis etait qu'une lucarne,<br />

placee a deux metres, l'eclairait seule d'un jour de cave. Et le sol de terre battue, les tas de legumes, les detritus<br />

jetes dans les coins, y entretenaient une humidite qui coulait en larmes jaunes sur le platre nu des murailles.<br />

D'ailleurs, on laissa tout, on ne debarrassa qu'un angle, pour y mettre un lit de fer, une chaise et une table de<br />

bois blanc. Le vieux parut enchante.<br />

Alors Buteau triompha. Depuis que Fouan etait chez les Delhomme, il enrageait de jalousie, car il n'ignorait<br />

pas ce qu'on disait dans Rognes: bien sur que ca ne genait point les Delhomme de nourrir leur pere; tandis que<br />

les Buteau, dame! ils n'avaient pas de quoi. Aussi, dans les premiers temps, le poussa−t−il a la nourriture, rien<br />

que pour l'engraisser, histoire de prouver qu'on ne crevait pas de faim chez lui. Et puis, il y avait les cent<br />

cinquante francs de rente, provenant de la maison vendue, que le pere laisserait certainement a celui de ses<br />

enfants qui l'aurait garde. D'autre part, ne l'ayant plus a sa charge, Delhomme allait sans doute recommencer a<br />

lui payer sa part de la rente annuelle, deux cents francs, ce qu'il fit en effet. Buteau comptait sur ces deux<br />

cents francs. Il avait tout calcule, il s'etait dit qu'il aurait la gloire d'etre un bon fils, en ne rien sortant de sa<br />

poche, et avec l'esperance d'en etre recompense, plus tard; sans parler du magot qu'il soupconnait toujours au<br />

vieux, bien qu'il ne fut jamais parvenu a avoir une certitude.<br />

Ce fut, pour Fouan, une vraie lune de miel. On le fetait, on le montrait aux voisins: hein? quelle mine de<br />

prosperite! avait−il l'air de deperir? Les petits, <strong>La</strong>ure et Jules, toujours dans ses jambes, l'occupaient, le<br />

chatouillaient au coeur. Mais il etait surtout heureux de retourner a ses manies de vieil homme, d'etre plus<br />

libre, dans le laisser−aller plus grand de la maison. Quoique bonne menagere, et propre, Lise n'avait pas les<br />

raffinements ni les susceptibilites de Fanny, et il pouvait cracher partout, sortir, rentrer a sa guise, manger a<br />

chaque minute, par cette habitude du paysan qui ne passe pas devant le pain sans y tailler une tartine, au gre<br />

des heures de travail. Trois mois s'ecoulerent ainsi, on etait en decembre, des froids terribles gelaient l'eau de<br />

sa cruche, au pied de son lit; mais il ne se plaignait pas, les degels meme avaient beau tremper la piece, en<br />

faire ruisseler les murs, comme sous une pluie battante, il trouvait ca naturel, il avait vecu dans cette rudesse.<br />

Pourvu qu'il eut son tabac, son cafe, et qu'on ne le taquinat point, disait−il, le roi n'etait pas son oncle.<br />

Ce qui commenca de gater les choses, ce fut qu'un matin de clair soleil, rentrant dans sa chambre chercher sa<br />

pipe, lorsqu'on le croyait deja sorti, Fouan y trouva Buteau en train de culbuter Francoise sur les pommes de<br />

terre. <strong>La</strong> fille, qui se defendait gaillardement, sans un mot, se ramassa, quitta la piece, apres avoir pris les<br />

betteraves qu'elle y venait chercher pour ses vaches; et le vieux, reste seul en face de son fils, se facha.<br />

—Sale cochon, avec cette gamine, a cote de ta femme!... Et elle ne voulait pas, je l'ai bien vue qui gigotait!<br />

Mais Buteau, encore soufflant, le sang au visage, n'accepta pas la remontrance.<br />

—Est−ce que vous avez a y foutre le nez? Fermez les quinquets, taisez votre bec, ou ca tournera mal!<br />

II 163

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