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Émile Zola - La Terre

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desertion de la culture; mais enfin la mere, flattee, avait decide le pere. Et, depuis le matin, Nenesse nocait<br />

avec les camarades du village, pour les adieux.<br />

Un instant, il parut contrarie de trouver la un etranger. Puis, se decidant:<br />

—Dis donc, mere, je vas leur payer a diner chez Macqueron. Me faudrait des sous.<br />

Fanny le regarda fixement, la bouche ouverte pour refuser. Mais elle etait si vaniteuse, que la presence de Jean<br />

la retint. Bien sur que leur fils pouvait depenser vingt francs sans les gener! Et elle disparut, raide et muette.<br />

—Tu es donc avec quelqu'un? demanda le pere a Nenesse.<br />

Il avait apercu une ombre a la porte. Il s'avanca, et reconnaissant le garcon reste dehors:<br />

—Tiens! c'est Delphin.... Entre donc, mon brave!<br />

Delphin se risqua, saluant, s'excusant. Lui, etait en cotte et en blouse bleues, chausse de ses gros souliers de<br />

labour, sans cravate, la peau deja cuite par le travail au grand soleil.<br />

—Et toi, reprit Delhomme qui le tenait en grande estime, est−ce que tu vas partir aussi pour Chartres, un de<br />

ces jours?<br />

Delphin ecarquilla les yeux; puis, violemment:<br />

—Ah! nom de Dieu, non! J'y claquerais, dans leur ville!<br />

Le pere eut, sur son garcon, un regard oblique, tandis que l'autre continuait, venant au secours du camarade:<br />

—Bon pour Nenesse d'aller la−bas, lui qui porte la toilette et qui joue du piston!<br />

Delhomme sourit, car le talent de son fils sur le piston le gonflait d'orgueil. Fanny, d'ailleurs, revenait, la main<br />

pleine de pieces de quarante sous, et elle en compta dix, longuement, dans celle de Nenesse, des pieces toutes<br />

blanches d'etre restees sous un tas de ble. Elle ne se fiait point a son armoire, elle cachait ainsi son argent, par<br />

petites sommes, au fond de tous les coins de la maison, dans le grain, dans le charbon, dans le sable; si bien<br />

que, lorsqu'elle payait, son argent etait tantot d'une couleur, tantot d'une autre, blanc, noir ou jaune.<br />

—Ca va tout de meme, dit Nenesse pour remerciement. Viens−tu, Delphin?<br />

Et les deux gaillards filerent, on entendit leurs rires qui s'eloignaient.<br />

Jean alors vida son verre, en voyant le pere Fouan, qui ne s'etait pas retourne pendant la scene, quitter la<br />

fenetre et sortir dans la cour. Il prit conge, il retrouva le vieux debout, au milieu de la nuit noire.<br />

—Voyons, pere Fouan, voulez−vous aller chez Buteau pour m'avoir Francoise?... C'est vous le maitre, vous<br />

n'avez qu'a parler.<br />

Le vieillard, dans l'ombre, repetait d'une voix saccadee:<br />

—Je ne peux pas... je ne peux pas...<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

QUATRIEME PARTIE 161

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