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Émile Zola - La Terre

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Mais Fouan, qui venait d'allumer une chandelle, s'excitait, s'emportait.<br />

—Non, non, j'en ai assez!... Ah! si j'avais su ce qui m'attendait ici! J'aurais mieux fait de crever, le jour ou j'ai<br />

vendu ma maison.... Seulement, ils se trompent, s'ils croient me tenir. J'aimerais mieux casser des pierres sur<br />

la route.<br />

Il suffoqua, il dut s'asseoir, et le jeune homme en profita pour parler enfin.<br />

—Dites donc, pere Fouan, je voulais vous voir a cause de l'affaire, vous savez. J'ai eu bien du regret, j'ai du<br />

me defendre, n'est−ce pas? puisque l'autre m'attaquait.... N'empeche que j'etais d'accord avec Francoise, et il<br />

n'y a que vous, a cette heure, qui puissiez arranger ca.... Vous iriez chez Buteau, vous lui expliqueriez la<br />

chose.<br />

Le vieux etait devenu grave. Il hochait le menton, l'air embarrasse pour repondre, lorsque le retour des<br />

Delhomme lui en evita la peine. Ils ne parurent pas surpris de trouver Jean chez eux, ils lui firent le bon<br />

accueil accoutume. Mais, du premier coup d'oeil, Fanny avait vu la bouteille et les deux verres sur la table.<br />

Elle les enleva, alla prendre un torchon. Puis, sans le regarder, elle dit sechement, elle qui ne lui avait pas<br />

adresse la parole depuis quarante−huit heures:<br />

—Pere, vous savez bien que je ne veux pas ca.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Fouan se redressa, tremblant, furieux de cette observation devant du monde.<br />

—Quoi encore? Est−ce que, nom de Dieu! je ne suis pas libre d'offrir un verre a un ami?... Enferme−le, ton<br />

vin! je boirai de l'eau.<br />

Du coup, ce fut elle qui se vexa horriblement d'etre ainsi accusee d'avarice. Elle repondit, toute pale:<br />

—Vous pouvez boire la maison et en crever, si ca vous amuse.... Ce que je ne veux pas, c'est que vous<br />

salissiez ma table, avec vos verres qui degoulinent et qui font des ronds, comme au cabaret.<br />

Des larmes etaient montees aux yeux du pere. Il eut le dernier mot.<br />

—Un peu moins de proprete et un peu plus de coeur, ca vaudrait mieux, ma fille.<br />

Et, pendant qu'elle essuyait rudement la table, il se planta devant la fenetre, regardant la nuit noire qui etait<br />

venue, tout secoue du desespoir qu'il cachait.<br />

Delhomme, evitant de prendre parti, avait simplement appuye par son silence l'attitude ferme et sensee de sa<br />

femme. Il ne voulut pas laisser partir Jean sans avoir bu un autre coup, dans des verres qu'elle servit sur des<br />

assiettes. Et, a demi voix, elle s'excusa posement.<br />

—On n'a pas idee du mal qu'on a avec les vieilles gens! C'est plein de manies, de mauvaises habitudes, et ils<br />

en creveraient plutot que de se corriger.... Celui−la n'est point mechant, il n'en a plus la force. Ca n'empeche<br />

que j'aimerais mieux avoir quatre vaches a conduire, qu'un vieux a garder.<br />

Jean et Delhomme l'approuvaient de la tete. Mais elle fut interrompue par l'entree brusque de Nenesse, mis<br />

comme un garcon de la ville, en veston et en pantalon de fantaisie, achetes tout faits chez <strong>La</strong>mbourdieu, coiffe<br />

d'un petit chapeau de feutre dur. Le cou long, la nuque rasee, il se dandinait d'un air louche de fille, avec ses<br />

yeux bleus, sa face molle et jolie. Il avait toujours eu l'horreur de la terre, il partait le lendemain pour Chartres,<br />

ou il allait servir chez un restaurateur qui tenait un bal public. Longtemps, les parents s'etaient opposes a cette<br />

QUATRIEME PARTIE 160

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