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esolu a ne parler que le jour ou la Cognette le pousserait a bout, en le faisant chasser; de sorte qu'ils vivaient<br />
sur un pied de guerre, lui redoutant d'etre jete dehors comme une vieille bete infirme, elle attendant d'etre<br />
assez forte pour exiger cela de Hourdequin, qui tenait a son berger. Dans toute la Beauce, il n'y avait pas un<br />
berger qui sut mieux faire manger son troupeau, sans degat ni perte, rasant un champ d'un bout a l'autre, en ne<br />
laissant pas une herbe.<br />
Le vieux, pris de cette demangeaison de parler qui vide parfois le coeur des gens solitaires, continua:<br />
—Ah! si ma garce de femme, avant d'en crever, n'avait pas bu tout mon saint−frusquin, a mesure que je le<br />
gagnais, c'est moi qui aurais decampe de la ferme, pour ne pas y voir tant de saletes!... Cette Cognette, en<br />
voila une dont les fesses ont plus travaille que les mains! et ce n'est pas bien sur a son merite, c'est a sa peau<br />
qu'elle la doit, sa position! Quand on pense que le maitre la laisse coucher dans le lit de sa defunte et qu'elle a<br />
fini par l'amener a manger seul avec elle, comme si elle etait sa vraie femme! Faut s'attendre, au premier jour,<br />
a ce qu'elle nous foute tous dehors, et lui aussi, par−dessus le marche!... Une salope qui a traine avec le<br />
dernier des cochons!<br />
Tron, a chaque phrase, serrait les poings davantage. Il avait des coleres sournoises que sa force de geant<br />
rendait terribles.<br />
—En v'la assez, hein? cria−t−il. Si tu etais encore un homme, je t'aurais claque deja... Elle est plus honnete<br />
dans son petit doigt que toi dans toute ta vieille carcasse.<br />
Mais Soulas, goguenard, avait hausse les epaules sous la menace. Lui qui ne riait jamais, eut un rire brusque et<br />
rouille, le grincement d'une poulie hors d'usage.<br />
—Jeannot, va! grand serin! tu es aussi bete qu'elle est maligne! Ah! elle te le montrera sous verre, son<br />
pucelage!... Quand je te dis que tout le pays lui a traine sur le ventre! Moi, je me promene, je n'ai qu'a<br />
regarder, et j'en vois sans le vouloir, de ces filles qu'on bouche! Mais, elle, ce que je l'ai vue bouchee de fois,<br />
non! c'est trop!... Tiens! elle avait quatorze ans a peine, dans l'ecurie, avec le pere Mathias, un bossu qui est<br />
mort; plus tard, un jour qu'elle petrissait, contre le petrin meme, avec un galopin, le petit porcher Guillaume,<br />
soldat aujourd'hui; et avec tous les valets qui ont passe, et dans tous les coins, sur de la paille, sur des sacs, par<br />
terre.... D'ailleurs, pas besoin de chercher si loin. Si tu veux en causer, il y en a un la que j'ai apercu un matin<br />
dans le fenil en train de la recoudre, solidement!<br />
Il lacha un nouveau rire, et le regard oblique qu'il jeta sur Jean gena beaucoup ce dernier, qui se taisait en<br />
arrondissant le dos depuis qu'on parlait de Jacqueline.<br />
—Que quelqu'un essaye voir a la toucher, maintenant! gronda Tron, secoue d'une colere de chien a qui on<br />
retire un os. Je lui ferai passer le gout du pain, a celui−la!<br />
Soulas l'examina un instant, surpris de cette jalousie de brute. Puis, retombe dans l'hebetement de ses longs<br />
silences, il conclut de sa voix breve:<br />
—Ca te regarde, mon fils.<br />
<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />
Lorsque Tron eut rejoint la voiture qu'il conduisait au moulin, Jean demeura quelques minutes encore avec le<br />
berger, pour l'aider a enfoncer au maillet certaines des crosses; et celui−ci, qui le voyait si muet, si triste, finit<br />
par reprendre:<br />
—Ce n'est pas la Cognette, au moins, qui te met le coeur a l'envers?<br />
QUATRIEME PARTIE 157