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Émile Zola - La Terre

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En effet, deux voitures, a peine grosses comme le poing, venaient d'apparaitre, a l'horizon de la plaine; et,<br />

dans la premiere, que Jean conduisait, Soulas avait parfaitement reconnu le tonneau d'eau; tandis que la<br />

seconde, conduite par Tron, etait chargee de sacs de ble, qu'il portait a un moulin, dont on voyait la haute<br />

carcasse de bois, a cinq cents metres. Cette derniere voiture s'arreta sur la route, Tron ayant accompagne<br />

l'autre jusqu'au parc, a travers le chaume, sous le pretexte de donner un coup de main: histoire de flaner et de<br />

causer un instant.<br />

—C'est donc qu'on veut nous faire tous crever de la pepie! criait le berger.<br />

Et les moutons qui, eux aussi, avaient flaire le tonneau, s'etaient leves en tumulte, s'ecrasaient contre les<br />

claies, allongeant la tete, belant plaintivement.<br />

—Patience! repondit Jean, v'la de quoi vous souler!<br />

Tout de suite, on installa l'auge, on l'emplit a l'aide de la rigole de bois; et, comme il y avait une fuite en<br />

dessous, les chiens etaient la, qui lapaient a la regalade; pendant que le berger et le petit porcher, sans<br />

attendre, buvaient goulument dans la rigole meme. Le troupeau entier defila, on n'entendait que le<br />

ruissellement de cette eau bienfaisante, des glouglous de gorge qui avalaient, tous heureux de s'eclabousser,<br />

de se tremper, les betes et les gens.<br />

—A cette heure, dit ensuite Soulas ragaillardi, si vous etiez gentils, vous me donneriez un coup de main pour<br />

avancer le parc.<br />

Jean et Tron consentirent. Dans les grands chaumes, le parc voyageait, ne restait guere plus de deux ou trois<br />

jours a la meme place, juste le temps laisse aux moutons de tondre les herbes folles; et ce systeme avait en<br />

outre l'avantage de fumer les terres, morceau a morceau. Pendant que le berger, aide de ses chiens, gardait le<br />

troupeau, les deux hommes et le petit porcher arracherent les crosses, transporterent les claies a une<br />

cinquantaine de pas; et, de nouveau, ils les fixerent sur un vaste carre, ou les betes vinrent se refugier<br />

d'elles−memes, avant qu'il fut ferme completement.<br />

Deja Soulas, malgre son grand age, poussait sa voiture, la ramenait pres du parc. Puis, parlant de Jean, il<br />

demanda:<br />

—Qu'est−ce qu'il a donc? On dirait qu'il porte le bon Dieu en terre.<br />

Et, comme le garcon hochait tristement la tete, malade depuis qu'il croyait avoir perdu Francoise, le vieux<br />

ajouta:<br />

—Hein? il y a quelque femelle, la−dessous... Ah! les sacrees gouines, ou devrait leur tordre le cou a toutes!<br />

Tron, avec ses membres de colosse, son air innocent de beau gaillard, se mit a rire.<br />

—Ca se dit, ca, quand on ne peut plus.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Je ne peux plus, je ne peux plus, repeta le berger dedaigneux, est−ce que j'ai essaye avec toi?... Et, tu sais,<br />

mon fils, il y en a une avec qui tu ferais mieux de ne pas pouvoir, car ca tournera a du vilain, pour sur!<br />

Cette allusion a ses rapports avec Mme Jacqueline, fit rougir le valet jusqu'aux oreilles. Un matin, Soulas les<br />

avait surpris ensemble, au fond de la grange, derriere les sacs d'avoine. Et, dans sa haine de cette ancienne<br />

laveuse de vaisselle, mauvaise aujourd'hui pour ses anciens camarades, il s'etait enfin decide a ouvrir les yeux<br />

du maitre; mais, des le premier mot, celui−ci l'avait regarde d'un air si terrible, qu'il etait redevenu muet,<br />

QUATRIEME PARTIE 156

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