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Émile Zola - La Terre

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lendemain de la moisson, qu'il le parquait enfin dans les chaumes, sous les derniers soleils brulants de<br />

septembre.<br />

C'etait l'epoque abominable, la Beauce depouillee, desolee, etalant ses champs nus sans un bouquet de<br />

verdure. Les chaleurs de l'ete, le manque absolu d'eau, avaient seche la terre qui se fendait; et toute vegetation<br />

disparaissait, il n'y avait plus que la salissure des herbes mortes, que le herissement dur des chaumes, dont les<br />

carres a l'infini, elargissaient le vide ravage et morne de la plaine, comme si un incendie eut passe d'un bout a<br />

l'autre de l'horizon. Un reflet jaunatre semblait en etre reste au ras du sol, une lumiere louche, un eclairage<br />

livide d'orage: tout paraissait jaune, d'un jaune affreusement triste, la terre rotie, les moignons des tiges<br />

coupees, les chemins de campagne, bossues, ecorches par les roues. Au moindre coup de vent, de grandes<br />

poussieres s'envolaient, couvrant les talus et les haies de leur cendre. Et le ciel bleu, le soleil eclatant, n'etaient<br />

qu'une tristesse de plus, au−dessus de cette desolation.<br />

Justement, ce jour−la, il faisait un grand vent, des souffles chauds et brusques, qui amenaient des galops de<br />

gros nuages; et, lorsque le soleil se degageait, il avait une morsure de fer rouge, il brulait la peau. Depuis le<br />

matin, Soulas attendait, pour lui et pour ses betes, de l'eau qu'on devait apporter de la ferme; car le chaume ou<br />

il se trouvait, etait au nord de Rognes, loin de toute mare. Dans le parc, au milieu des claies mobiles, que<br />

fixaient les batons des crosses, enfonces en terre, les moutons, vautres, respiraient d'une haleine courte et<br />

penible; tandis que les deux chiens, allonges en dehors, haletaient eux aussi, la langue pendante. Le berger,<br />

pour avoir un peu d'ombre, s'etait assis contre la cabane a deux roues, qu'il poussait a chaque deplacement du<br />

parc, une etroite niche qui lui servait de lit, d'armoire et de garde−manger. Mais, a midi, le soleil tapa<br />

d'aplomb, et il se remit debout, regardant au loin si Auguste revenait de la ferme, ou il l'avait envoye voir<br />

pourquoi le tonneau n'arrivait pas.<br />

Enfin, le petit porcher reparut, criant:<br />

—On va venir, on n'avait pas de chevaux, ce matin.<br />

—Et, bougre de bete, tu n'as pas pris un litre d'eau pour nous?<br />

—Ah! non, je n'y ai pas songe.... Moi, j'ai bu.<br />

Soulas, a poing ferme, lanca une gifle, que le gamin evita d'un saut. Il jurait, il se decida pourtant a manger<br />

sans boire, malgre la soif qui l'etranglait. Mefiant, Auguste, sur son ordre, avait tire de la voiture du pain de<br />

huit jours, de vieilles noix, un fromage sec; et tous les deux se mirent a dejeuner, guettes par les chiens qui<br />

vinrent s'asseoir devant eux, happant de temps a autre une croute, si dure, qu'elle craquait entre leurs<br />

machoires comme un os. Malgre ses soixante−dix ans, le berger besognait de ses gencives aussi vite que le<br />

petit avec ses dents. Il etait toujours droit, resistant et noueux ainsi qu'un baton d'epine, la face creusee<br />

davantage, pareille a une trogne d'arbre, sous l'emmelement de ses cheveux deteints, couleur de terre. Et le<br />

porcher eut quand meme sa gifle, une calotte qui l'envoya rouler dans la voiture, au moment ou, ne se defiant<br />

plus, il y serrait le reste du pain et du fromage.<br />

—Tiens! foutue couenne, bois encore ca, en attendant!<br />

Jusqu'a deux heures, rien ne se montra. <strong>La</strong> chaleur avait augmente, intolerable dans les grands calmes qui, tout<br />

d'un coup se faisaient. Puis, de la terre reduite en poudre, le vent soulevait sur place de minces tourbillons, des<br />

sortes de fumees aveuglantes, etouffantes, exasperant le supplice de la soif.<br />

Le berger qui patientait, stoique, sans une plainte, eut enfin un grognement de satisfaction.<br />

—Nom de Dieu! ce n'est pas trop tot!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

QUATRIEME PARTIE 155

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