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Émile Zola - La Terre

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Buteau avait lance le premier coup, et Jean, baisse encore, aurait eu la tete fracassee, s'il ne s'etait jete d'un<br />

saut en arriere. Tout de suite, d'un raidissement brusque des muscles, il leva, il abattit le fleau, comme un<br />

batteur ecrasant le grain. Mais deja l'autre tapait aussi, les deux battoirs de cornouiller se rencontrerent, se<br />

replierent sur leurs courroies, dans un vol fou d'oiseaux blesses. Trois fois, le meme heurt se reproduisit. On<br />

ne voyait que ces batons, en l'air, tourner et siffler au bout des manches, toujours pres de retomber et de fendre<br />

les cranes qu'ils menacaient.<br />

Delhomme et Fouan, pourtant, se precipitaient, lorsque les femmes crierent. Jean venait de rouler dans la<br />

paille, pris en traitre par Buteau, qui, d'un coup de fouet, a ras de terre, heureusement amorti, l'avait touche<br />

aux jambes. Il se remit debout, il brandit son fleau dans une rage que decuplait la douleur. Le battoir decrivit<br />

un large cercle, tomba a droite, lorsque l'autre l'attendait a gauche. Quelques lignes de plus, et la cervelle<br />

sautait. Il n'y eut que l'oreille d'effleuree. Le coup, obliquant, tapa en plein sur le bras qui fut casse net. L'os<br />

avait eu un bruit de verre qu'on brise.<br />

—Ah! l'assassin! hurla Buteau, il m'a tue!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Jean, hagard, les yeux rougis de sang, lacha son arme. Puis, un moment, il les regarda tous, comme hebete des<br />

choses, qui venaient de se passer la, si rapides; et il s'en alla, en boitant, avec un geste de furieux desespoir.<br />

Quand il eut tourne le coin de la maison, vers la plaine, il apercut la Trouille, qui avait assiste a la bataille,<br />

par−dessus la haie du jardin. Elle en riait encore, venue la pour roder autour de ce bapteme, auquel ni son pere<br />

ni elle n'etaient invites. Ce qu'il en rigolerait, Jesus−Christ; de la petite fete de famille, de la patte cassee a son<br />

frere! Elle se tortillait comme si on l'eut chatouillee, pres de tomber sur le dos, tant ca l'amusait.<br />

—Ah! Caporal, quelle cogne! cria−t−elle. L'os a fait clac! C'etait rien drole!<br />

Il ne repondit pas, ralentissant sa marche d'un air accable. Et elle le suivit, elle siffla ses oies, qu'elle avait<br />

emmenees, pour avoir le pretexte de stationner et d'ecouter derriere les murs. Lui, machinalement, retournait<br />

vers la batteuse, qui fonctionnait encore dans le jour finissant. Il songeait que c'etait fichu, qu'il ne pourrait<br />

revoir les Buteau, que jamais on ne lui donnerait Francoise. Etait−ce bete! dix minutes venaient de suffire: une<br />

querelle qu'il n'avait pas cherchee, un coup si malheureux, juste au moment ou les choses marchaient! et<br />

jamais, jamais plus, maintenant! Le ronflement de la machine, au fond du crepuscule, se prolongeait comme<br />

une grande plainte de detresse.<br />

Mais il y eut une rencontre: Les oies de la Trouille, qu'elle rentrait, se trouverent, a l'angle d'un carrefour, en<br />

face des oies du pere Saucisse, qui redescendaient toutes seules au village. Les deux jars, en tete, s'arreterent<br />

brusquement, hanchant sur une patte, leurs grands becs jaunes tournes l'un vers l'autre; et les becs de chaque<br />

bande, tous a la fois, suivirent le bec de leur chef, tandis que les corps hanchaient du meme cote. Un instant,<br />

l'immobilite fut complete, on eut dit une reconnaissance en armes, deux patrouilles echangeant le mot d'ordre.<br />

Puis, l'oeil rond et satisfait, l'un des jars, continua tout droit, l'autre jars prit a gauche; tandis que chaque<br />

troupe filait derriere le sien, allant a ses affaires, d'un dehanchement uniforme.<br />

QUATRIEME PARTIE<br />

Depuis le mois de mai, apres la tonte et la vente des eleves, le berger Soulas avait sorti les moutons de la<br />

Borderie, pres de quatre cents betes qu'il conduisait seul, avec le petit porcher Auguste et ses deux chiens,<br />

Empereur et Massacre, des betes terribles. Jusqu'en aout, le troupeau mangeait dans les jacheres, dans les<br />

trefles et les luzernes, ou encore dans les friches, le long des routes; et il y avait a peine trois semaines, au<br />

I<br />

QUATRIEME PARTIE 154

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