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Émile Zola - La Terre

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—Et apres? si je veux d'elle et si elle veut de moi! repeta Jean, qui se contenait et qui s'etait promis, par<br />

gentillesse, de la laisser conter la premiere leur histoire. Allons, Francoise, cause un peu.<br />

—Mais c'est vrai! cria Lise, qu'emportait le desir de marier sa soeur, pour s'en debarrasser, qu'as−tu a dire,<br />

s'ils se conviennent? Elle n'a pas besoin de ton consentement, elle est bien bonne de ne pas t'envoyer<br />

promener... Tu nous embetes a la fin!<br />

Alors, Buteau vit que la chose allait etre faite, si la jeune fille parlait. Ce qu'il redoutait surtout, c'etait que, la<br />

liaison etant connue, le mariage fut regarde comme raisonnable. Justement, la Grande entrait dans la cour,<br />

suivie des Charles, qui revenaient avec Elodie. Et il les appela du geste, sans savoir encore ce qu'il dirait. Puis,<br />

la face gonflee, il trouva, il gueula, en menacant du poing sa femme et sa belle−soeur:<br />

—Nom de Dieu de vaches!... Oui, toutes les deux, des vaches, des salopes!... Voulez−vous savoir? je couche<br />

avec les deux! et si c'est pour ca qu'elles se foutent de moi!... Avec les deux, je vous dis, les putains!<br />

Beants, les Charles recurent les mots a la volee, en plein visage. Mme Charles se precipita, comme pour<br />

couvrir de son corps Elodie qui ecoutait; puis, la poussant vers le potager, elle cria elle−meme tres fort:<br />

—Viens voir les salades, viens voir les choux... Oh! les beaux choux!<br />

Buteau continuait, inventant des details, racontant que, lorsque l'une avait sa ration, c'etait au tour de l'autre a<br />

se faire bourrer jusqu'a la gorge; et il lachait cela en termes crus, un flot d'egout charriant les mots<br />

abominables qu'on ne dit pas. Lise, etonnee simplement de cet acces brusque, se contentait de hausser les<br />

epaules, en repetant:<br />

—Il est fou, c'est pas Dieu possible! il est fou.<br />

—Dis−lui donc qu'il ment! cria Jean a Francoise.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Bien sur qu'il ment! dit la jeune fille d'un air tranquille.<br />

—Ah! je mens! reprit Buteau, ah! ce n'est pas vrai qu'a la moisson tu en as voulu, dans la meule!... Mais c'est<br />

moi, a cette heure, qui vas vous faire marcher toutes les deux, garces que vous etes!<br />

Cette audace enragee paralysait, etourdissait Jean. Pouvait−il expliquer maintenant qu'il avait eu Francoise? ca<br />

lui semblait sale, surtout si elle ne l'aidait pas. Les autres, d'ailleurs, les Delhomme, Fouan, la Grande, se<br />

tenaient sur la reserve. Ils n'avaient pas eu l'air surpris, ils pensaient, evidemment, que, si le gaillard couchait<br />

avec les deux, il etait bien le maitre de faire d'elles ce qu'il voulait. Quand on a des droits, on les fait valoir.<br />

Des lors, Buteau se sentit victorieux, dans sa force indiscutee de la possession. Il se tourna vers Jean.<br />

—Et toi, bougre, avise−toi de venir encore m'emmerder dans mon menage.... D'abord, tu vas foutre le camp<br />

tout de suite... Hein? tu refuses... Attends, attends!<br />

Il ramassa son fleau, il en fit tournoyer le battoir, et Jean n'eut que le temps de saisir l'autre fleau, celui de<br />

Francoise, pour se defendre. Il y eut des cris, on voulut se jeter entre eux; mais ils etaient si terribles, qu'on<br />

recula. Les grands manches portaient les coups a plusieurs metres, la cour en etait balayee. Eux seuls<br />

resterent, au milieu, a distance l'un de l'autre, elargissant le cercle de leurs moulinets. Ils ne disaient plus un<br />

mot, les dents serrees. On n'entendait que les claquements secs des pieces de bois, a chaque parade.<br />

VI 153

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