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Émile Zola - La Terre

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des gaudrioles qu'il retenait, par convenance; tandis que Fouan et Delhomme, tres graves, montraient le<br />

respect du linge, la vraie richesse apres la terre.<br />

—Quant aux chemises, continua Mme Charles, en les depliant a leur tour, voyez donc! elles ne sont pas usees<br />

du tout... Ah! pour les dechirures, elles ne manquent pas, un vrai massacre; et, comme on ne peut toujours les<br />

recoudre, que ca finit par faire des epaisseurs et que ce n'est guere riche, on prefere les jeter au vieux linge...<br />

Mais toi, Lise, tu en tireras un bon parti.<br />

—Je les mettrai, donc! cria la paysanne. Moi, ca ne fait rien que ma chemise soit raccommodee.<br />

—Et moi, declara Buteau de son air malin, avec un clignement des paupieres, je serai bien aise que tu me<br />

fasses des mouchoirs avec.<br />

Cette fois, on s'egayait ouvertement, lorsque la petite Elodie, qui avait suivi des yeux chaque drap, chaque<br />

chemise, s'ecria:<br />

—Oh! la drole d'odeur, comme ca sent fort!... Est−ce que c'est du linge a maman, tout ca?<br />

Mme Charles n'eut pas une hesitation.<br />

—Mais bien sur ma cherie... C'est−a−dire, c'est le linge a ses demoiselles de magasin. Il en faut, va! dans le<br />

commerce.<br />

Des que Lise eut tout fait disparaitre dans son armoire, avec l'aide de Francoise, on trinqua enfin, on but a la<br />

sante de l'enfant baptisee, que la marraine avait nommee <strong>La</strong>ure, de son prenom. Puis, l'on s'oublia un instant, a<br />

causer; et l'on entendit M. Charles, assis sur la malle, interroger Mme Charles, sans attendre d'etre seul avec<br />

elle, dans l'impatience ou il etait de savoir comment les choses marchaient, la−bas. Il se passionnait encore, il<br />

revait toujours de cette maison, si energiquement fondee autrefois, tant regrettee depuis. Les nouvelles<br />

n'etaient pas bonnes. Certes, leur fille Estelle avait de la poigne et de la tete; mais, decidement, leur gendre<br />

Vaucogne, ce mollasson d'Achille, ne la secondait pas. Il passait les journees a fumer des pipes, il laissait tout<br />

salir, tout casser: ainsi les rideaux des chambres avaient des taches, la glace du petit salon rouge etait felee,<br />

partout les pots a eau et les cuvettes s'ebrechaient, sans qu'il intervint seulement; et le bras d'un homme etait si<br />

necessaire, pour faire respecter le mobilier de la maison! A chaque nouveau degat qu'il apprenait ainsi, M.<br />

Charles poussait un soupir, ses bras tombaient, sa paleur augmentait. Une derniere plainte, murmuree a voix<br />

plus basse, l'acheva.<br />

—Enfin, il monte lui−meme avec celle du 5, une grosse...<br />

—Qu'est−ce que tu dis la?<br />

—Oh! j'en suis sure, je les ai vus.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

M. Charles, tremblant, serra les poings, dans un elan d'indignation exasperee.<br />

—Le miserable! fatiguer son personnel, manger son etablissement!... Ah! c'est la fin de tout!<br />

D'un geste, Mme Charles le fit taire, car Elodie revenait de la cour. ou elle etait allee voir les poules. On vida<br />

encore un litre, la malle fut rechargee dans la carriole, que les Charles suivirent a pied, jusque chez eux. Et<br />

chacun partit, pour donner un coup d'oeil a sa maison, en attendant le repas.<br />

VI 150

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