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Émile Zola - La Terre

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Elle repliqua rudement:<br />

—<strong>La</strong> mere m'a desobei, l'enfant ne m'est de rien.<br />

—Eh bien! je vous ai assez prevenue, je vous repete, moi, que vous irez en enfer, si vous avez mauvais<br />

coeur.... L'autre jour, sans ce que je lui ai donne, il serait mort de faim, et aujourd'hui j'ai ete oblige d'inventer<br />

du travail.<br />

Au mot d'enfer, la Grande avait eu un mince sourire. Comme elle le disait, elle en savait trop, l'enfer etait sur<br />

cette terre, pour le pauvre monde. Mais la vue d'Hilarion portant les dalles la faisait reflechir, plus que les<br />

menaces du pretre. Elle etait surprise, jamais elle ne l'aurait cru si fort, avec ses jambes en manches de veste.<br />

—S'il veut du travail, reprit−elle enfin, peut−etre tout de meme qu'on lui en trouvera.<br />

—Sa place est chez vous, prenez−le, la Grande!<br />

—On verra, qu'il vienne demain.<br />

Hilarion, qui avait compris, se mit a trembler tellement, qu'il faillit s'ecraser les pieds, en laissant tomber son<br />

dernier morceau de dalle, dehors. Et il eut, quand il s'eloigna, un regard furtif sur sa grand'mere, un regard<br />

d'animal battu, epouvante et soumis.<br />

Une demi−heure encore se passa. Becu, las de sonner, fumait de nouveau sa pipe. Et la Grande, muette,<br />

imperturbable, restait la, comme si sa presence eut suffi a la politesse qu'on devait au cure; pendant que<br />

celui−ci, dont l'exasperation montait, allait a chaque instant, sur la porte de l'eglise, jeter, au travers de la place<br />

vide, un regard flamboyant vers la maison des Buteau.<br />

—Mais sonnez donc, Becu! cria−t−il tout d'un coup. Si, dans trois minutes, ils ne sont pas ici, je file, moi!<br />

Alors, dans la reprise affolee de la cloche, qui fit envoler et croasser les corbeaux centenaires, on vit les<br />

Buteau et leur monde sortir un a un, puis traverser la place. Lise etait consternee, la marraine n'arrivait<br />

toujours pas. On avait decide de se rendre doucement a l'eglise, avec l'espoir que cela la ferait venir. Il n'y<br />

avait pas cent metres, l'abbe Godard les bouscula tout de suite.<br />

—Dites−le, si c'est pour vous moquer de moi! J'ai des complaisances, et voila une heure que j'attends!<br />

Depechons, depechons!<br />

Et il les poussait vers le baptistere, la mere qui portait le nouveau−ne, le pere, le grand−pere Fouan, l'oncle<br />

Delhomme, la tante Fanny, jusqu'a M. Charles, tres digne en parrain, dans sa redingote noire.<br />

—Monsieur le cure, demanda Buteau, d'un air d'humilite exageree ou ricanait une malice, si c'etait un effet de<br />

votre bonte d'attendre encore un petit peu.<br />

—Qui, attendre?<br />

—Mais la marraine, monsieur le cure.<br />

L'abbe Godard devint rouge, a faire craindre un coup de sang. Il etouffait, il begaya:<br />

—Prenez−en une autre!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

VI 147

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