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Émile Zola - La Terre

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D'ailleurs, Lise, son etonnement passe, le regardait de son air rejoui; et la chose, evidemment, ne lui deplaisait<br />

pas. Meme elle fut tout a fait engageante.<br />

—Ce sera comme elle voudra, Jean.... Moi, je ne suis pas de l'avis de Buteau, qui la trouve trop jeune. Elle va<br />

sur ses dix−huit ans, elle est batie a prendre deux hommes au lieu d'un.... Et puis, on a beau s'aimer entre<br />

soeurs, n'est−ce pas? maintenant que la voila femme, je prefererais avoir a sa place une servante que je<br />

commanderais.... Si elle dit oui, epousez−la. Vous etes un bon sujet, ce sont les plus vieux coqs souvent qui<br />

sont les meilleurs.<br />

C'etait un cri qui lui echappait, cette desunion lente, grandie invinciblement entre elle et sa cadette, cette<br />

hostilite aggravee par les petites blessures de chaque jour, un sourd ferment de jalousie et de haine couvant<br />

depuis qu'un homme etait la, avec ses volontes et ses appetits de male.<br />

Jean, heureux, lui mit un gros baiser sur chaque joue, lorsqu'elle eut ajoute:<br />

—Justement, nous baptisons la petite, et nous aurons la famille a diner ce soir.... Je vous invite, vous ferez<br />

votre demande au pere Fouan, qui est le tuteur, si Francoise veut bien de vous.<br />

—Entendu! cria−t−il. A ce soir.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Et il rejoignit ses chevaux a grandes enjambees, il les poussa tout le jour, en faisant chanter son fouet, dont les<br />

claquements partaient comme des coups de feu, au matin d'une fete.<br />

Les Buteau, en effet, baptisaient leur enfant, apres bien des retards. D'abord, Lise avait exige d'etre tout a fait<br />

solide, voulant manger au repas. Puis, travaillee d'une pensee d'ambition, elle s'etait obstinee a avoir les<br />

Charles pour parrain et marraine; et ceux−ci, par condescendance, ayant accepte, il avait fallu attendre<br />

madame Charles, qui venait de partir a Chartres, donner un coup de main dans l'etablissement de sa fille: on<br />

etait a la foire de septembre, la maison de la rue aux Juifs ne desemplissait pas. D'ailleurs, ainsi que Lise<br />

l'avait dit a Jean, on devait etre simplement en famille: Fouan, la Grande et les Delhomme, en dehors du<br />

parrain et de la marraine.<br />

Mais, au dernier moment, de grosses difficultes se presenterent avec l'abbe Godard, qui ne decolerait plus<br />

contre Rognes. Il s'etait efforce de prendre son mal en patience, les six kilometres que lui coutait chaque<br />

messe, les exigences taquines d'un village sans vraie religion, tant qu'il avait espere que le conseil municipal<br />

finirait par se donner le luxe d'une paroisse. A bout de resignation, il ne pouvait se leurrer davantage, le<br />

conseil repoussait chaque annee la reparation du presbytere, le maire Hourdequin declarait le budget trop<br />

greve deja, seul l'adjoint Macqueron menageait les pretres, par de sourdes visees ambitieuses. Et l'abbe,<br />

n'ayant desormais aucun menagement a garder, traitait Rognes durement, ne lui accordait du culte que le strict<br />

necessaire, sans gateries de prieres en plus, de cierges et d'encens brules pour le plaisir. Aussi vivait−il dans<br />

de continuelles querelles avec les femmes. En juin surtout, une veritable bataille s'etait livree, a propos de la<br />

premiere communion. Cinq enfants, deux filles et trois garcons, suivaient le catechisme qu'il faisait le<br />

dimanche, apres la messe; et, comme il lui aurait fallu revenir pour les confesser, il avait exige qu'ils vinssent<br />

eux−memes le trouver a Bazoches−le−Doyen. De la, une premiere revolte des femmes: merci! trois quarts de<br />

lieue pour l'aller, autant pour le retour! est−ce qu'on savait comment ca tournait, des que des garcons et des<br />

filles couraient ensemble? Puis, l'orage eclata, terrible, lorsqu'il refusa nettement de celebrer a Rognes la<br />

ceremonie, la grand'messe chantee et le reste. Il entendait la celebrer dans sa paroisse, les cinq enfants etaient<br />

libres de s'y rendre, s'ils en avaient le desir. Pendant quinze jours, a la fontaine, les femmes en begayerent de<br />

colere: quoi donc! il les baptisait, il les mariait, il les enterrait chez eux, et il ne voulait pas les y faire<br />

communier proprement! Il s'obstina, ne dit qu'une messe basse, expedia les cinq communiants, n'ajouta pas<br />

une fleur, pas un oremus de consolation; meme il brutalisa les femmes, quand, vexees aux larmes de cette<br />

solennite baclee ainsi, elles le supplierent de chanter les vepres. Rien du tout! il leur donnait ce qu'il leur<br />

VI 145

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