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<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />
Cette fois, comme il la violentait, sous la jupe, a pleine main brutale, elle lui envoya un tel coup de pied entre<br />
les jambes, qu'il hurla. D'un bond, il s'etait remis debout, effraye, regardant le lit. Sa femme dormait toujours,<br />
du meme souffle tranquille. Il s'en alla pourtant, avec un geste de terrible menace.<br />
Lorsque Francoise se fut allongee sur le matelas, dans la grande paix de la chambre, elle demeura les yeux<br />
ouverts. Elle ne voulait point, jamais elle ne le laisserait faire, meme si elle en avait l'envie. Et elle s'etonnait,<br />
car l'idee qu'elle pourrait epouser Jean ne lui etait pas encore venue.<br />
VI<br />
Depuis deux jours, Jean etait occupe dans les pieces que Hourdequin possedait pres de Rognes, et ou celui−ci<br />
avait fait installer une batteuse a vapeur, louee a un mecanicien de Chateaudun, qui la promenait de Bonneval<br />
a Cloyes. Avec sa voiture et ses deux chevaux, le garcon apportait les gerbes des meules environnantes, puis<br />
emportait le grain a la ferme; tandis que la machine, soufflant du matin au soir, faisant voler au soleil une<br />
poussiere blonde, emplissait le pays d'un ronflement enorme et continu.<br />
Jean, malade, se cassait la tete a chercher comment il pourrait bien ravoir Francoise. Il y avait deja un mois<br />
qu'il l'avait tenue, justement la, dans ce ble que l'on battait; et elle s'echappait sans cesse, peureuse. Il<br />
desesperait de jamais recommencer. C'etait un desir croissant, une passion envahissante. Tout en conduisant<br />
ses betes, il se demandait pourquoi il n'irait pas carrement chez les Buteau reclamer Francoise en mariage.<br />
Rien encore ne l'avait fache avec eux d'une facon ouverte et definitive. Il leur criait toujours un bonjour en<br />
passant. Et, des que cette idee de mariage lui eut pousse comme le seul moyen de ravoir la fille, il se persuada<br />
que son devoir etait la, qu'il serait un malhonnete homme, s'il ne l'epousait point.<br />
Pourtant, le lendemain matin, lorsque Jean retourna a la machine, la peur le prit. Jamais il n'aurait ose risquer<br />
la demarche, s'il n'avait vu Buteau et Francoise partir ensemble pour les champs. Il songea que Lise lui avait<br />
toujours ete favorable, qu'il tremblerait moins avec elle; et il s'echappa un instant, apres avoir confie ses<br />
chevaux a un camarade.<br />
—Tiens, c'est vous, Jean, cria Lise, relevee gaillardement de ses couches. On ne vous voit plus.<br />
Qu'arrive−t−il?<br />
Il s'excusa. Puis, en hate, avec la brutalite des gens timides, il aborda la chose; et elle put croire d'abord qu'il<br />
lui faisait une declaration, car il lui rappelait qu'il l'avait aimee, qu'il l'aurait eue volontiers pour femme. Mais,<br />
tout de suite, il ajouta:<br />
—Alors, c'est pourquoi j'epouserais tout de meme Francoise, si on me la donnait.<br />
Elle le regarda, tellement surprise, qu'il se mit a begayer.<br />
—Oh! je sais, ca ne se fait pas comme ca.... Je voulais seulement vous en parler.<br />
—Dame! repondit−elle enfin, ca me surprend, parce que je ne m'y attendais guere, a cause de vos ages....<br />
Avant tout, faudrait savoir ce que Francoise en pense.<br />
Il etait venu avec le projet formel de tout dire, dans l'espoir de rendre le mariage necessaire. Mais un scrupule,<br />
au dernier moment, l'arreta. Si Francoise ne s'etait pas confessee a sa soeur, si personne ne savait rien, avait−il<br />
le droit de parler le premier? Cela le decouragea, il eut honte, a cause de ses trente−trois ans.<br />
—Bien sur, murmura−t−il, on lui en causerait, on ne la forcerait pas.<br />
VI 144