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Émile Zola - La Terre

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—Sauvez notre vache, notre vieille vache qui nous donne de si bon lait, depuis des annees et des annees...<br />

Sauvez−la, monsieur Patoir...<br />

—Mais, entendons−nous bien, je vas etre force de decouper le veau.<br />

—Ah! le veau, on s'en fout, du veau!... Sauvez notre vache, monsieur Patoir, sauvez−la!<br />

Alors, le veterinaire, qui avait apporte un grand tablier bleu, se fit preter un pantalon de toile; et, s'etant mis<br />

tout nu dans un coin, derriere la Rougette, il enfila simplement le pantalon, puis attacha le tablier a ses reins.<br />

Quand il reparut, avec sa bonne face de dogue, gros et court dans ce costume leger, la Coliche souleva la tete,<br />

s'arreta de se plaindre, etonnee sans doute. Mais personne n'eut un sourire, tellement l'attente serrait les<br />

coeurs.<br />

—Allumez des chandelles!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Il en fit planter quatre par terre, et il s'allongea sur le ventre, dans la paille, derriere la vache, qui ne pouvait<br />

plus se lever. Un instant, il resta aplati, le nez entre les cuisses de la bete. Ensuite, il se decida a tirer sur la<br />

ficelle, pour ramener les pieds, qu'il examina attentivement. Pres de lui, il avait pose une petite boite longue,<br />

et il se redressait sur un coude, et il en sortait un bistouri, lorsqu'un gemissement rauque l'etonna et le fit<br />

s'asseoir.<br />

—Comment! ma grosse, tu es encore la?... Aussi, je me disais: ce n'est pas la vache!<br />

C'etait Lise, prise des grandes douleurs, qui poussait, les flancs arraches.<br />

—Mais, nom de Dieu! va donc faire ton affaire chez toi, et laisse−moi faire la mienne ici! Ca me derange, ca<br />

me tape sur les nerfs, parole d'honneur! de t'entendre pousser derriere moi... Voyons, est−ce qu'il y a du bon<br />

sens! emmenez−la, vous autres!<br />

<strong>La</strong> Frimat et la Becu se deciderent a prendre chacune Lise sous un bras et a la conduire dans sa chambre. Elle<br />

s'abandonnait, elle n'avait plus la force de resister. Mais, en traversant la cuisine, ou brulait une chandelle<br />

solitaire, elle exigea pourtant qu'on laissat toutes les portes ouvertes, dans l'idee qu'elle serait ainsi moins loin.<br />

Deja, la Frimat avait prepare le lit de misere, selon l'usage des campagnes: un simple drap jete au milieu de la<br />

piece, sur une botte de paille, et trois chaises renversees. Lise s'accroupit, s'ecartela, adossee a une des chaises,<br />

la jambe droite contre la seconde, la gauche contre la troisieme. Elle ne s'etait pas meme deshabillee, ses pieds<br />

s'arc−boutaient dans leurs savates, ses bas bleus montaient a ses genoux; et sa jupe, rejetee sur sa gorge,<br />

decouvrait son ventre monstrueux, ses cuisses grasses, tres blanches, si elargies, qu'on lui voyait jusqu'au<br />

coeur.<br />

Dans l'etable, Buteau et Francoise etaient restes pour eclairer Patoir, tous les deux assis sur leurs talons,<br />

approchant chacun une chandelle, tandis que le veterinaire, allonge de nouveau, pratiquait au bistouri une<br />

section autour du jarret de gauche. Il decolla la peau, tira sur l'epaule qui se depouilla et s'arracha. Mais<br />

Francoise, palissante, defaillante, laissa tomber sa chandelle et s'enfuit en criant:<br />

—Ma pauvre vieille Coliche... Je ne veux pas voir ca! je ne veux pas voir ca!<br />

Patoir s'emporta, d'autant plus qu'il dut se relever, pour eteindre un commencement d'incendie, determine dans<br />

la paille par la chute de la chandelle.<br />

—Nom de Dieu de gamine! ca vous a des nerfs de princesse!... Elle nous fumerait comme des jambons.<br />

V 140

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