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Émile Zola - La Terre

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—Je sens les pieds, murmura−t−elle, mais la tete n'est pas la... Ce n'est guere bon, quand on ne trouve pas la<br />

tete...<br />

Elle dut oter sa main. <strong>La</strong> Coliche, secouee d'une tranchee violente, poussait si fort, que les pieds parurent.<br />

C'etait toujours ca, les Buteau eurent un soupir de soulagement: ils croyaient tenir deja un peu de leur veau, en<br />

voyant ces pieds qui passaient; et, des lors, ils furent travailles d'une pensee unique, tirer, pour l'avoir tout de<br />

suite, comme s'ils avaient eu peur qu'il ne rentrat et qu'il ne ressortit plus.<br />

—Vaudrait mieux ne pas le bousculer, dit sagement la Frimat. Il finira bien par sortir.<br />

Francoise etait de cet avis. Mais Buteau s'agitait, venait toucher les pieds a toutes minutes, en se fachant de ce<br />

qu'ils ne s'allongeaient pas. Brusquement il prit une corde, qu'il y noua d'un noeud solide, aide de sa femme,<br />

aussi fremissante que lui; et, comme justement la Becu entrait, amenee par son flair, on tira, tous atteles a la<br />

corde, Buteau d'abord, puis la Frimat, la Becu, Francoise, Lise elle−meme, accroupie, avec son gros ventre.<br />

—Ohe hisse! criait Buteau, tous ensemble!... Ah! le chameau, il n'a pas grouille d'un pouce, il est colle<br />

la−dedans!... Aie donc! aie donc! bougre!<br />

Les femmes, suantes, essoufflees, repetaient:<br />

—Ohe hisse!... Aie donc! bougre!<br />

Mais il y eut une catastrophe. <strong>La</strong> corde, vieille, a demi pourrie, cassa, et toutes furent culbutees dans la litiere,<br />

au milieu de cris et de jurons.<br />

—Ca ne fait rien, il n'y a pas de mal! declara Lise qui avait roule jusqu'au mur et qu'on se hatait de relever.<br />

Cependant, a peine debout, elle eut un eblouissement, il lui fallut s'asseoir. Un quart d'heure plus tard, elle se<br />

tenait le ventre, les douleurs de la veille recommencaient, profondes, a des intervalles reguliers. Et elle qui<br />

croyait avoir rentre ca! Quel fichu guignon tout de meme que la vache n'allat pas plus vite, et qu'elle,<br />

maintenant, fut reprise, a ce point qu'elle etait bien capable de la rattraper! On n'evitait pas le sort, c'etait dit,<br />

que toutes les deux veleraient ensemble. Elle poussait de grands soupirs, une querelle eclata entre elle et son<br />

homme. Aussi, nom de Dieu! pourquoi avait−elle tire? est−ce que ca la regardait, le sac des autres? qu'elle<br />

vidat donc le sien, d'abord! Elle repondit par des injures, tellement elle souffrait: cochon! salop! s'il ne le lui<br />

avait pas empli, son sac, il ne la generait pas tant!<br />

—Tout ca, fit remarquer la Frimat, c'est des paroles, ca n'avance a rien.<br />

Et la Becu ajouta:<br />

—Ca soulage tout de meme.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

On avait heureusement envoye le petit Jules chez le cousin Delhomme, pour s'en debarrasser. Il etait trois<br />

heures, on attendit jusqu'a sept. Rien ne vint, la maison etait un enfer: d'un cote, Lise qui s'entetait sur une<br />

vieille chaise, a se tortiller en geignant; de l'autre, la Coliche qui ne jetait qu'un cri, dans des frissons et des<br />

sueurs, d'un caractere de plus en plus grave. <strong>La</strong> seconde vache, Rougette, s'etait mise a meugler de peur.<br />

Francoise alors perdit la tete, et Buteau, jurant, gueulant, voulut tirer encore. Il appela deux voisins, on tira a<br />

six, comme pour deraciner un chene, avec une corde neuve, qui ne cassa pas, cette fois. Mais la Coliche,<br />

ebranlee, tomba sur le flanc et resta dans la paille, allongee, soufflante, pitoyable.<br />

—Le bougre, nous ne l'aurons pas! declara Buteau en nage, et la garce y passera avec lui!<br />

V 138

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