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Émile Zola - La Terre

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paix? il pouvait bien attendre! C'etaient comme des mouches qui la piquaient aux flancs, et les coliques lui<br />

partaient des reins, pour lui descendre jusque dans les genoux. Elle refusait de se mettre au lit, elle pietinait,<br />

en repetant qu'elle voulait faire rentrer ca.<br />

Vers dix heures, lorsqu'on eut couche le petit Jules, Buteau, ennuye de voir que rien n'arrivait, decide a<br />

dormir, laissa Lise et Francoise s'enteter dans l'etable, autour de la Coliche, dont les souffrances grandissaient.<br />

Toutes deux commencaient a etre inquietes, ca ne marchait guere, bien que le travail, du cote des os, parut<br />

fini. Le passage y etait, pourquoi le veau ne sortait−il pas? Elles flattaient la bete, l'encourageaient, lui<br />

apportaient des friandises, du sucre, que celle−ci refusait, la tete basse, la croupe agitee de secousses<br />

profondes. A minuit, Lise, qui jusque−la s'etait tordue, se trouva brusquement soulagee: ce n'etait encore, pour<br />

elle, qu'une fausse alerte, des douleurs errantes; mais elle fut persuadee qu'elle avait rentre ca, comme elle<br />

aurait reprime un besoin. Et, la nuit entiere, elle et sa soeur veillerent la Coliche, la soignant, faisant chauffer<br />

des torchons, qu'elles lui appliquaient brulants sur la peau; tandis que l'autre vache, Rougette, la derniere<br />

achetee au marche de Cloyes, etonnee de cette chandelle qui brulait, les suivait de ses gros yeux bleuatres,<br />

ensommeilles.<br />

Au soleil levant, Francoise, voyant qu'il n'y avait toujours rien, se decida a courir chercher leur voisine, la<br />

Frimat. Celle−ci etait reputee pour ses connaissances, elle avait aide tant de vaches, qu'on recourait volontiers<br />

a elle dans les cas difficiles, afin de s'eviter la visite du veterinaire. Des qu'elle arriva, elle eut une moue.<br />

—Elle n'a pas bon air, murmura−t−elle. Depuis quand est−elle comme ca?<br />

—Mais depuis douze heures.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

<strong>La</strong> vieille femme continua de tourner derriere la bete, mit son nez partout, avec de petits hochements de<br />

menton, des mines maussades, qui effrayaient les deux autres.<br />

—Pourtant, conclut−elle, v'la la bouteille qui vient... Faut attendre pour voir.<br />

Alors, toute la matinee fut employee a regarder se former la bouteille, la poche que les eaux gonflent et<br />

poussent au dehors. On l'etudiait, on la mesurait, on la jugeait: une bouteille tout de meme qui en valait une<br />

autre, bien qu'elle s'allongeat, trop grosse. Mais, des neuf heures, le travail s'arreta de nouveau, la bouteille<br />

pendit, stationnaire, lamentable, agitee d'un balancement regulier, par les frissons convulsifs de la vache, dont<br />

la situation empirait a vue d'oeil.<br />

Lorsque Buteau rentra des champs pour dejeuner, il prit peur a son tour, il parla d'aller chercher Patoir, tout en<br />

fremissant a l'idee de l'argent que ca couterait.<br />

—Un veterinaire! dit aigrement la Frimat, pour qu'il te la tue, hein? Celle au pere Saucisse lui a bien claque<br />

sous le nez... Non, vois−tu, je vas crever la bouteille, et je l'irai chercher, moi, ton veau!<br />

—Mais, fit remarquer Francoise, monsieur Patoir defend de la crever. Il dit que ca aide, l'eau dont elle est<br />

pleine.<br />

<strong>La</strong> Frimat eut un haussement d'epaules exaspere. Un bel ane, Patoir! Et, d'un coup de ciseaux, elle fendit la<br />

poche. Les eaux ruisselerent avec un bruit d'ecluse, tous s'ecarterent, trop tard, eclabousses. Un instant, la<br />

Coliche souffla plus a l'aise, la vieille femme triompha. Elle avait frotte sa main droite de beurre, elle<br />

l'introduisit, tacha d'aller reconnaitre la position du veau; et elle fouillait la−dedans, sans hate. Lise et<br />

Francoise la regardaient faire, les paupieres battantes d'anxiete. Buteau lui−meme, qui n'etait pas retourne aux<br />

champs, attendait, immobile et ne respirant plus.<br />

V 137

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