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Émile Zola - La Terre

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—Oh! je n'en ai pas peur, reprit−il avec un aplomb tranquille. Je dirai que tu mens, que tu te venges de ce que<br />

je t'ai surprise.<br />

Puis, comme ils arrivaient, il conclut d'une voix rapide:<br />

—Alors, ca reste entre nous.... Faudra voir a en recauser tous les deux.<br />

Lise, pourtant, commencait a s'etonner, ne comprenant, pas comment Francoise revenait ainsi avec Buteau.<br />

Celui−ci raconta que cette paresseuse etait allee bouder derriere une meule, la−bas. D'ailleurs, un cri rauque<br />

les interrompit, on oublia l'affaire.<br />

—Quoi donc? qui a crie?<br />

C'etait un cri effrayant, un long soupir hurle, pareil a la plainte de mort d'une bete qu'on egorge. Il monta et<br />

s'eteignit, dans la flamme implacable du soleil.<br />

—Hein? qui est−ce? un cheval bien sur, les os casses!<br />

Ils se tournerent, et ils virent Palmyre encore debout, dans le chaume voisin, au milieu des javelles. Elle<br />

serrait, de ses bras defaillants, contre sa poitrine plate, une derniere gerbe, qu'elle s'efforcait de lier. Mais elle<br />

jeta un nouveau cri d'agonie, plus dechire, d'une detresse affreuse; et lachant tout, tournant sur elle−meme,<br />

elle s'abattit dans le ble, foudroyee par le soleil qui la chauffait depuis douze heures.<br />

Lise et Francoise se haterent, Buteau les suivit, d'un pas moins empresse; tandis que, des pieces d'alentour,<br />

tout le monde aussi arrivait, les Delhomme, Fouan qui rodait par la, la Grande qui chassait les pierres du bout<br />

de sa canne.<br />

—Qu'y a−t−il donc?<br />

—C'est la Palmyre qui a une attaque.<br />

—Je l'ai bien vue tomber, de la−bas.<br />

—Ah! mon Dieu!<br />

Et tous, autour d'elle, dans l'effroi mysterieux dont la maladie frappe le paysan, la regardaient, sans trop oser<br />

s'approcher. Elle etait allongee, la face au ciel, les bras en croix, comme crucifiee sur cette terre, qui l'avait<br />

usee si vite a son dur labeur, et qui la tuait. Quelque vaisseau avait du se rompre, un filet de sang coulait de sa<br />

bouche. Mais elle s'en allait plus encore d'epuisement, sous des besognes de bete surmenee, si seche au milieu<br />

du chaume, si reduite a rien, qu'elle n'y etait qu'une loque, sans chair, sans sexe, exhalant son dernier petit<br />

souffle dans la fecondite grasse des moissons.<br />

Cependant, la Grande, l'aieule, qui l'avait reniee et qui jamais ne lui parlait, s'avanca enfin.<br />

Je crois bien qu'elle est morte.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Et elle la poussa de sa canne. Le corps, les yeux ouverts et vides dans l'eclatante lumiere, la bouche elargie au<br />

vent de l'espace, ne remua pas. Sur le menton, le filet de sang se caillait. Alors, la grand'mere, qui s'etait<br />

baissee, ajouta:<br />

—Bien sur qu'elle est morte.... Vaut mieux ca que d'etre a la charge des autres.<br />

IV 134

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