—Oh! je n'en ai pas peur, reprit−il avec un aplomb tranquille. Je dirai que tu mens, que tu te venges de ce que je t'ai surprise. Puis, comme ils arrivaient, il conclut d'une voix rapide: —Alors, ca reste entre nous.... Faudra voir a en recauser tous les deux. Lise, pourtant, commencait a s'etonner, ne comprenant, pas comment Francoise revenait ainsi avec Buteau. Celui−ci raconta que cette paresseuse etait allee bouder derriere une meule, la−bas. D'ailleurs, un cri rauque les interrompit, on oublia l'affaire. —Quoi donc? qui a crie? C'etait un cri effrayant, un long soupir hurle, pareil a la plainte de mort d'une bete qu'on egorge. Il monta et s'eteignit, dans la flamme implacable du soleil. —Hein? qui est−ce? un cheval bien sur, les os casses! Ils se tournerent, et ils virent Palmyre encore debout, dans le chaume voisin, au milieu des javelles. Elle serrait, de ses bras defaillants, contre sa poitrine plate, une derniere gerbe, qu'elle s'efforcait de lier. Mais elle jeta un nouveau cri d'agonie, plus dechire, d'une detresse affreuse; et lachant tout, tournant sur elle−meme, elle s'abattit dans le ble, foudroyee par le soleil qui la chauffait depuis douze heures. Lise et Francoise se haterent, Buteau les suivit, d'un pas moins empresse; tandis que, des pieces d'alentour, tout le monde aussi arrivait, les Delhomme, Fouan qui rodait par la, la Grande qui chassait les pierres du bout de sa canne. —Qu'y a−t−il donc? —C'est la Palmyre qui a une attaque. —Je l'ai bien vue tomber, de la−bas. —Ah! mon Dieu! Et tous, autour d'elle, dans l'effroi mysterieux dont la maladie frappe le paysan, la regardaient, sans trop oser s'approcher. Elle etait allongee, la face au ciel, les bras en croix, comme crucifiee sur cette terre, qui l'avait usee si vite a son dur labeur, et qui la tuait. Quelque vaisseau avait du se rompre, un filet de sang coulait de sa bouche. Mais elle s'en allait plus encore d'epuisement, sous des besognes de bete surmenee, si seche au milieu du chaume, si reduite a rien, qu'elle n'y etait qu'une loque, sans chair, sans sexe, exhalant son dernier petit souffle dans la fecondite grasse des moissons. Cependant, la Grande, l'aieule, qui l'avait reniee et qui jamais ne lui parlait, s'avanca enfin. Je crois bien qu'elle est morte. <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> Et elle la poussa de sa canne. Le corps, les yeux ouverts et vides dans l'eclatante lumiere, la bouche elargie au vent de l'espace, ne remua pas. Sur le menton, le filet de sang se caillait. Alors, la grand'mere, qui s'etait baissee, ajouta: —Bien sur qu'elle est morte.... Vaut mieux ca que d'etre a la charge des autres. IV 134
Tous, saisis, ne bougeaient plus. Est−ce qu'on pouvait la toucher, sans aller chercher le maire? Ils parlaient d'abord a voix basse, puis ils se remirent a crier, pour s'entendre. —Je vas querir mon echelle, qui est la−bas contre la meule, finit par dire Delhomme. Ca servira de civiere.... Un mort, faut jamais le laisser par terre, ce n'est pas bien. Mais, quand il revint avec l'echelle, et qu'on voulut prendre des gerbes et y faire un lit pour le cadavre, Buteau grogna. —On te le rendra ton ble! —J'y compte, fichtre! <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> Lise, un peu honteuse de cette ladrerie, ajouta deux javelles comme oreiller, et l'on y deposa le corps de Palmyre, pendant que Francoise, dans une sorte de reve, etourdie de cette mort qui tombait au milieu de sa premiere besogne avec l'homme, ne pouvait detacher les yeux du cadavre, tres triste, etonnee surtout que cela eut jamais pu etre une femme. Elle demeura ainsi que Fouan, a garder, en attendant le depart; et le vieux ne disait rien non plus, avait l'air de penser que ceux qui s'en vont sont bien heureux. Quand le soleil se coucha, a l'heure ou l'on rentre, deux hommes vinrent, prendre la civiere. Le fardeau n'etait pas lourd, ils n'avaient guere besoin d'etre relayes. Pourtant, d'autres les accompagnerent, tout un cortege se forma. On coupa a travers champs, pour eviter le detour de la route. Sur les gerbes, le corps se raidissait, et des epis, derriere la tete, retombaient et se balancaient, aux secousses cadencees des pas. Maintenant, il ne restait au ciel que la chaleur amassee, une chaleur rousse, appesantie dans l'air bleu. A l'horizon, de l'autre cote de la vallee du Loir, le soleil, noye dans une vapeur, n'epandait plus sur la Beauce qu'une nappe de rayons jaunes, au ras du sol. Tout semblait de ce jaune, de cette dorure des beaux soirs de moisson. Les bles encore debout avaient des aigrettes de flamme rose; les chaumes herissaient des brins de vermeil luisant; et, de toutes parts, a l'infini, bossuant cette mer blonde, les meules moutonnaient, paraissaient grandir demesurement, flambantes d'un cote, deja noires de l'autre, jetant des ombres qui s'allongeaient, jusqu'aux lointains perdus de la plaine. Une grande serenite tomba, il n'y eut plus, tres haut, qu'un chant d'alouette. Personne ne parlait, parmi les travailleurs harasses, qui suivaient avec une resignation de troupeau, la tete basse. Et l'on n'entendait qu'un petit bruit de l'echelle, sous le balancement de la morte, rapportee dans le ble mur. Ce soir−la, Hourdequin regla le compte de ses moissonneurs, qui avaient fini la besogne convenue. Les hommes emportaient cent vingt francs, les femmes soixante, pour leur mois de travail. C'etait une annee bonne, pas trop de bles verses ou la faux s'ebreche, pas un orage pendant la coupe. Aussi fut−ce au milieu de grands cris que le capitaine, accompagne de son equipe, presenta la gerbe, la croix d'epis tresses, a Jacqueline, qu'on traitait en maitresse de la maison; et la “ripane", le repas d'adieu traditionnel, fut tres gai: on mangea trois gigots et cinq lapins, on trinqua si tard, que tous se coucherent en ribote. Jacqueline, grise elle−meme, faillit se faire prendre par Hourdequin, au cou de Tron. Etourdi, Jean etait alle se jeter sur la paille de sa soupente. Malgre sa fatigue, il ne dormit point, l'image de Francoise etait revenue et le tourmentait. Cela lui causait de la surprise, presque de la colere, car il avait eu si peu de plaisir avec cette fille, apres tant de nuits passees a la vouloir! Depuis, il se sentait tout vide, il aurait bien jure qu'il ne recommencerait pas. Et voila qu'a peine couche, il la revoyait se dresser, il la desirait encore, dans une rage d'evocation charnelle: l'acte, la−bas, renaissait, cet acte auquel il n'avait pas pris gout, dont les moindres details, maintenant, fouettaient sa chair. Comment la ravoir, ou la tenir le lendemain, les jours suivants, toujours? Un frolement le fit tressaillir, une femme se coulait pres de lui: c'etait la Percheronne, la ramasseuse, etonnee qu'il ne vint point, cette nuit derniere. D'abord, il la repoussa; puis, il l'etouffa d'une etreinte; et il etait avec l'autre, il l'aurait brisee ainsi, les membres serres, jusqu'a l'evanouissement. IV 135
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Lise, pourtant, s'etait calmee. La
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marchait, ca commencait a etre amus
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alle jusqu'au bout, sans omettre un
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—Comment, pourquoi? Mais parce qu
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Lorsque, vers neuf heures, Jean eut
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Les Buteau, lorsqu'ils apercurent J
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souffrir dans cette vie. Lorsque De
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