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Émile Zola - La Terre

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Cependant, Buteau s'etonnait d'avoir perdu Francoise derriere les gerbes, et lorsqu'il vit Jean s'eloigner, il eut<br />

un soupcon. Sans se confier a Lise, il partit, courbe, en chasseur qui ruse. Puis, d'un elan, il tomba au beau<br />

milieu de la paille, au fond du trou. Francoise n'avait point bouge, dans la torpeur qui l'engourdissait, ses yeux<br />

vagues toujours en l'air, ses jambes restees nues. Il n'y avait pas a nier, elle ne l'essaya pas.<br />

—Ah! garce! ah! salope! c'est avec ce gueux que tu couches, et tu me flanques des coups de pied dans le<br />

ventre, a moi!.... Nom de Dieu! nous allons bien voir.<br />

Il la tenait deja, elle lut clairement sur sa face congestionnee qu'il voulait profiter de l'occasion. Pourquoi pas<br />

lui, maintenant, puisque l'autre venait d'y passer? Des qu'elle sentit de nouveau la brulure de ses mains, elle<br />

fut reprise de sa revolte premiere. Il etait la, et elle ne le regrettait plus, elle ne le voulait plus, sans avoir<br />

elle−meme conscience des sautes de sa volonte, dans une protestation rancuniere et jalouse de tout son etre.<br />

—Veux−tu me laisser, cochon!... Je te mords!<br />

Une seconde fois, il dut y renoncer. Mais il begayait de fureur, enrage de ce plaisir qu'on avait pris sans lui.<br />

—Ah! je m'en doutais que vous fricassiez ensemble!... J'aurait du le foutre dehors depuis longtemps... Nom de<br />

Dieu de cateau! qui te fais tanner le cuir par ce vilain bougre!<br />

Et le flot d'ordures continua, il lacha tous les mots abominables, parla de l'acte avec une crudite, qui la<br />

remettait nue, honteusement. Elle, enragee aussi, raidie et pale, affectait un grand calme, repondait a chaque<br />

salete, d'une voix breve:<br />

—Qu'est−ce que ca te fiche?... Si ca me plait, est−ce que je ne suis pas libre?<br />

—Eh bien! je vas te flanquer a la porte, moi! Oui, tout a l'heure, en rentrant... Je vas dire la chose a Lise,<br />

comment je t'ai trouvee, ta chemise sur−la tete; et tu iras te faire tamponner ailleurs, puisque ca t'amuse.<br />

Maintenant, il la poussait devant lui, il la ramenait vers le champ, ou sa femme attendait.<br />

—Dis−le a Lise.... Je m'en irai, si je veux.<br />

—Si tu veux, ah! c'est ce que nous allons voir!... A coup de pied au cul!<br />

Pour couper au plus court, il lui faisait traverser la piece des Cornailles restee jusque−la indivise entre elle et<br />

sa soeur, cette piece dont il avait toujours retarde le partage; et, brusquement, il demeura saisi, une idee aigue<br />

lui etait sautee au cerveau: il avait vu dans un eclair, s'il la chassait, le champ tranche en deux, la moitie<br />

emportee par elle, donnee au galant peut−etre. Cette idee le glaca, fit tomber net son desir exaspere. Non!<br />

c'etait bete, fallait pas tout lacher pour une fois qu'une fille vous laissait le bec en l'air. Ca se retrouve, la<br />

gaudriole; tandis que la terre, quand on la tient, le vrai est de la garder.<br />

Il ne disait plus rien, il avancait d'un pas ralenti, ennuye, ne sachant comment rattraper ses violences, avant de<br />

rejoindre sa femme. Enfin, il se decida.<br />

—Moi, je n'aime pas les mauvais coeurs, c'est parce que tu as l'air d'etre degoutee de moi, que ca me vexe....<br />

Autrement, je n'ai guere envie de faire du chagrin a ma femme, dans sa position....<br />

Elle s'imagina qu'il craignait d'etre vendu a Lise, lui aussi.<br />

—Ca, tu peux en etre sur: si tu parles, je parlerai.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

IV 133

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