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Émile Zola - La Terre

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—Dame! repondit−elle, tu te caches, on ne te voit pas.<br />

Alors, il se plaignit du mauvais accueil qu'on lui faisait maintenant chez les Buteau, Mais elle n'avait pas la<br />

tete a cela, elle se taisait, elle ne lachait que des paroles breves. D'elle−meme, elle s'etait laissee tomber sur la<br />

paille, au fond du trou, comme brisee de fatigue. Une seule chose l'emplissait, etait restee dans sa chair,<br />

materielle, aigue: l'attaque de cet homme au bord du champ, la−bas, ses mains chaudes dont elle se sentait<br />

encore, l'etau aux cuisses, son odeur qui la suivait, son approche de male qu'elle attendait toujours, l'haleine<br />

coupee, dans une angoisse de desir combattu. Elle fermait les yeux, elle suffoquait.<br />

Jean, alors, ne parla plus. A la voir ainsi, renversee, s'abandonnant, le sang de ses veines battait a grands<br />

coups. Il n'avait point calcule cette rencontre, il resistait, dans son idee que ce serait mal d'abuser de cette<br />

enfant. Mais le bruit de son coeur l'etourdissait, il l'avait tant desiree! et l'image de la possession l'affolait,<br />

comme dans ses nuits de fievre. Il se coucha pres d'elle, il se contenta d'abord de sa main, puis de ses deux<br />

mains, qu'il serrait a les broyer, en n'osant meme les porter a sa bouche. Elle ne les retirait pas, elle rouvrit ses<br />

yeux vagues, aux paupieres lourdes, elle le regarda, sans un sourire, sans une honte, la face nerveusement<br />

allongee. Et ce fut ce regard muet, presque douloureux, qui le rendit tout d'un coup brutal. Il se rua sous les<br />

jupes, l'empoigna aux cuisses, comme l'autre.<br />

—Non, non, balbutia−t−elle, je t'en prie... c'est sale...<br />

Mais elle ne se defendit point. Elle n'eut qu'un cri de douleur. Il lui semblait que le sol fuyait sous elle; et,<br />

dans ce vertige, elle ne savait plus: etait−ce l'autre qui revenait? elle retrouvait la meme rudesse, la meme<br />

acrete du male, fumant de gros travail au soleil. <strong>La</strong> confusion devint telle, dans le noir incendie de ses<br />

paupieres obstinement closes, qu'il lui echappa des mots, begayes, involontaires.<br />

—Pas d'enfant... ote−toi...<br />

Il fit un saut brusque, et cette semence humaine, ainsi detournee et perdue, tomba dans le ble mur, sur la terre,<br />

qui, elle, ne se refuse jamais, le flanc ouvert a tous les germes, eternellement feconde.<br />

Francoise rouvrit les yeux, sans une parole, sans un mouvements hebetee. Quoi? c'etait deja fini, elle n'avait<br />

pas eu plus de plaisir! Il ne lui en restait qu'une souffrance. Et l'idee de l'autre lui revint, dans le regret<br />

inconscient de son desir trompe. Jean, a son cote, la fachait. Pourquoi avait−elle cede? elle ne l'aimait pas, ce<br />

vieux! Il demeurait comme elle immobile, ahuri de l'aventure. Enfin, il eut un geste mecontent, il chercha<br />

quelque chose a lui dire, ne trouva rien. Gene davantage, il prit le parti de l'embrasser; mais elle se reculait,<br />

elle ne voulait plu, qu'il la touchat.<br />

—Faut que je m'en aille, murmura−t−il. Toi, reste encore.<br />

Elle ne repondit point, les regards en l'air, perdus dans le ciel.<br />

—N'est−ce pas? attends cinq minutes, qu'on ne te voie pas reparaitre en meme temps que moi.<br />

Alors, elle se decida a desserrer les levres.<br />

—C'est bon, va−t'en!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Et ce fut tout, il fit claquer son fouet, jura contre ses chevaux, s'en alla a cote de sa voiture, d'un pas alourdi, la<br />

tete basse.<br />

IV 132

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