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Émile Zola - La Terre

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—Ah! zut! j'ai la peau qui pete, dit Buteau.<br />

Et, se tournant vers Francoise:<br />

—Dormons, hein?<br />

Il chercha du regard un peu d'ombre, n'en trouva pas. Le soleil, d'aplomb, tapait partout, sans qu'un buisson fut<br />

la pour les abriter. Enfin, il remarqua qu'au bout du champ, dans une sorte de petit fosse, le ble encore debout<br />

projetait une raie brune.<br />

—Eh! Palmyre, cria−t−il, fais−tu comme nous?<br />

Elle etait a cinquante pas, elle repondit d'une voix eteinte, qui arrivait pareille a un souffle:<br />

—Non, non, pas le temps.<br />

Il n'y eut plus qu'elle qui travaillat, dans la plaine embrasee. Si elle ne rapportait point ses trente sous, le soir,<br />

Hilarion la battrait; car non seulement il la tuait de ses appetits de brute, il la volait aussi a present pour se<br />

griser d'eau−de−vie. Mais ses forces dernieres la trahissaient. Son corps plat, sans gorge ni fesses, rabote<br />

comme une planche par le travail, craquait, pres de se rompre, a chaque nouvelle gerbe ramassee et liee. Et, le<br />

visage couleur de cendre, mange ainsi qu'un vieux sou, vieille de soixante ans a trente−cinq, elle achevait de<br />

laisser boire sa vie au brulant soleil, dans cet effort desespere de la bete de somme, qui va choir et mourir.<br />

Cote a cote, Buteau et Francoise s'etaient couches. Ils fumaient de sueur, maintenant qu'ils ne bougeaient plus,<br />

silencieux, les yeux clos. Tout de suite, un sommeil de plomb les accabla, ils dormirent une heure; et la sueur<br />

ne cessait pas, coulait de leurs membres, sous cet air immobile et pesant de fournaise. Lorsque Francoise<br />

rouvrit les yeux, elle vit Buteau, tourne sur le flanc, qui la regardait d'un regard jaune. Elle referma les<br />

paupieres, feignit de se rendormir. Sans qu'il lui eut encore rien dit, elle sentait bien qu'il voulait d'elle, depuis<br />

qu'il l'avait vue pousser et qu'elle etait une vraie femme. Cette idee la bouleversait: oserait−il, le cochon, que<br />

toutes les nuits elle entendait s'en donner avec sa soeur? Jamais ce rut hennissant de cheval ne l'avait irritee a<br />

ce point. Oserait−il? et elle l'attendait, le desirant sans le savoir, decidee, s'il la touchait, a l'etrangler.<br />

Brusquement, comme elle serrait les yeux, Buteau l'empoigna.<br />

—Cochon! cochon! begaya−t−elle en le repoussant.<br />

Lui, ricanait d'un air fou, repetait tout bas:<br />

—Bete! laisse−toi faire!... Je te dis qu'ils dorment, personne ne regarde.<br />

A ce moment, la tete bleme et agonisante de Palmyre apparut au−dessus des bles, se tournant au bruit. Mais<br />

elle ne comptait pas, celle−la, pas plus qu'une vache qui aurait allonge son mufle. Et, en effet, elle se remit a<br />

ses gerbes, indifferente. On entendit de nouveau le craquement de ses reins, a chaque effort.<br />

—Bete! goutes−y donc! Lise n'en saura rien.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Au nom de sa soeur, Francoise qui faiblissait, vaincue, se raidit davantage. Et, des lors, elle ne ceda pas,<br />

tapant des deux poings, ruant de ses deux jambes nues, qu'il avait deja decouvertes jusqu'aux hanches. Est−ce<br />

qu'il etait a elle, cet homme? est−ce qu'elle voulait les restes d'une autre?<br />

—Va donc avec ma soeur, cochon! creve−la, si ca l'amuse! fais−lui un enfant tous les soirs!<br />

IV 130

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