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Émile Zola - La Terre

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—Nom de Dieu! dit Buteau, qui s'entetait a finir un bout du champ, j'ai le dos cuit, et ma langue est un vrai<br />

copeau.<br />

Il se redressa, les pieds nus dans de gros souliers, vetu seulement d'une chemise et d'une cotte de toile, la<br />

chemise ouverte, a moitie hors de la cotte, laissant voir jusqu'au nombril les poils suants de la poitrine.<br />

—Faut que je boive encore!<br />

Et il alla prendre sous sa veste un litre de cidre, qu'il avait abrite la. Puis, quand il eut avale deux gorgees de<br />

cette boisson tiede, il songea a la petite.<br />

—Tu n'as pas soif?<br />

—Si.<br />

Francoise prit la bouteille, but longuement, sans degout; et, tandis qu'elle se renversait, les reins plies, la gorge<br />

tendue, crevant l'etoffe mince, il la regarda. Elle aussi ruisselait, dans sa robe d'indienne a moitie defaite, le<br />

corsage degrafe du haut, montrant la chair blanche. Sous le mouchoir bleu dont elle avait couvert sa tete et sa<br />

nuque, ses yeux semblaient tres grands, au milieu de son visage muet, ardent de chaleur.<br />

Sans ajouter une parole, il se remit a la besogne, roulant sur ses hanches, abattant l'andain a chaque coup de<br />

faux, dans le grincement du fer qui cadencait sa marche; et elle, de nouveau ployee, le suivait, la main droite<br />

armee de sa faucille, dont elle se servait pour ramasser parmi les chardons sa brassee d'epis, qu'elle posait<br />

ensuite en javelle, regulierement, tous les trois pas. Quand il se relevait, le temps de s'essuyer le front d'un<br />

revers de main, et qu'il la voyait trop en arriere, les fesses hautes, la tete au ras du sol, dans cette posture de<br />

femelle qui s'offre, sa langue paraissait se secher davantage, il criait d'une voix rauque:<br />

—Feignante! faudrait voir a ne pas enfiler des perles!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Palmyre, dans le champ voisin, ou depuis trois jours la paille des javelles avait seche, etait en train de lier des<br />

gerbes; et, elle, il ne la surveillait pas; car, ce qui ne se fait guere, il l'avait mise au cent de gerbes, sous le<br />

pretexte qu'elle n'etait plus forte, trop vieille deja, usee, et qu'il serait en perte s'il lui donnait trente sous,<br />

comme aux femmes jeunes. Meme elle avait du le supplier, il ne s'etait decide a la prendre qu'en la volant, de<br />

l'air resigne d'un chretien qui consent a une bonne oeuvre. <strong>La</strong> miserable soulevait trois, quatre javelles, tant<br />

que ses bras maigres pouvaient en contenir; puis avec un lien tout pret, elle nouait sa gerbe fortement. Ce<br />

liage, cette besogne si dure que les hommes d'habitude se reservent, l'epuisait, la poitrine ecrasee des<br />

continuelles charges, les bras casses d'avoir a etreindre de telles masses et de tirer sur les liens de paille. Elle<br />

avait apporte le matin une bouteille, qu'elle allait remplir, d'heure en heure, a une mare voisine, croupie et<br />

empestee, buvant goulument, malgre la diarrhee qui l'achevait depuis les chaleurs, dans le delabrement de son<br />

continuel exces de travail.<br />

Mais le bleu du ciel avait pali, d'une paleur de voute chauffee a blanc; et, du soleil attise, il tombait des<br />

braises. C'etait, apres le dejeuner, l'heure lourde, accablante de la sieste. Deja, Delhomme et son equipe,<br />

occupes, pres de la, a mettre des gerbes en ruche, quatre en bas, une en haut, pour le toit, avaient disparu, tous<br />

couches au fond de quelque pli de terrain. Un instant encore, on apercut debout le vieux Fouan, qui vivait chez<br />

son gendre, depuis quinze jours qu'il avait vendu sa maison; mais, a son tour, il dut s'etendre, on ne le vit plus.<br />

Et il ne resta dans l'horizon vide, sur les fonds braisillants des chaumes, au loin que la silhouette seche de la<br />

Grande, examinant une haute meule que son monde avait commencee, au milieu du petit peuple a moitie<br />

defait des ruches. Elle semblait un arbre durci par l'age, n'ayant plus rien a craindre du soleil, toute droite, sans<br />

une goutte de sueur, terrible et indignee contre ces gens qui dormaient.<br />

IV 129

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