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Émile Zola - La Terre

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C'etait la Trouille, en effet, qui faisait son entree au bal, suivie de Delphin et de Nenesse; et le pere ne<br />

semblait pas surpris de la voir la, bien qu'il l'eut enfermee. Outre le noeud rouge qui eclatait dans ses cheveux,<br />

elle avait au cou un epais collier en faux corail, des perles de cire a cacheter, saignantes sur sa peau brune.<br />

Tous trois, du reste, las de roder devant les baraques, etaient hebetes et empoisses d'une indigestion de<br />

sucreries. Delphin, en blouse, avait la tete nue, une tete ronde et inculte de petit sauvage, ne se plaisant qu'au<br />

grand air. Nenesse, tourmente deja d'un besoin d'elegance citadine, etait vetu d'un complet achete chez<br />

<strong>La</strong>mbourdieu, un de ces etroits fourreaux cousus a la grosse dans la basse confection de Paris; et il portait un<br />

chapeau melon, en haine de son village, qu'il meprisait.<br />

—Fifille! appela Jesus−Christ. Fifille, viens me gouter ca... Hein? c'est du fameux!<br />

Il la fit boire dans son verre, tandis que la Becu demandait severement a Delphin:<br />

—Qu'est−ce que t'as fait de ta casquette?<br />

—Je l'ai perdue.<br />

—Perdue!... Avance ici que je te gifle!<br />

Mais Becu intervint, ricanant et flatte au souvenir des gaillardises precoces de son fils.<br />

—<strong>La</strong>che−le donc! le v'la qui pousse... Alors, vermines, vous fricassez ensemble?... Ah! le bougre, ah! le<br />

bougre!<br />

—Allez jouer, conclut paternellement Jesus−Christ. Et soyez sages.<br />

—Ils sont souls comme des cochons, dit Nenesse d'un air degoute, en rentrant dans le bal.<br />

<strong>La</strong> Trouille se mit a rire.<br />

—Tiens! j'te crois! j'y comptais bien... C'est pour ca qu'ils sont gentils.<br />

Le bal s'animait, on n'entendait que le trombone de Clou, petardant et etouffant le jeu grele du petit violon. <strong>La</strong><br />

terre battue, trop arrosee, faisait boue sous les lourdes semelles; et bientot, de toutes les cottes remuees, des<br />

vestes et des corsages que mouillaient, aux aisselles, de larges taches de sueur, il monta une violente odeur de<br />

bouc, qu'accentuait l'acrete filante des lampes. Mais, entre deux quadrilles, une chose emotionna, l'entree de<br />

Berthe, la fille aux Macqueron, vetue d'une toilette de foulard, pareille a celles que les demoiselles du<br />

percepteur portaient a Cloyes, le jour de la Saint−Lubin. Quoi donc? ses parents lui avaient−ils permis de<br />

venir? ou bien, derriere leur dos, s'etait−elle echappee? Et l'on remarqua qu'elle dansait uniquement avec le<br />

fils d'un charron, que son pere lui avait defendu de voir, a cause d'une haine de famille. On en plaisantait:<br />

parait que ca ne l'amusait plus, de se detruire la sante toute seule!<br />

Jesus−Christ, depuis un instant, bien qu'il fut tres gris, s'etait avise de la sale tete de Lequeu, plante a la porte<br />

de communication, regardant Berthe sauter aux bras de son galant. Et il ne put se tenir.<br />

—Dites, monsieur Lequeu, vous ne la faites pas danser, votre amoureuse?<br />

—Qui ca, mon amoureuse? demanda le maitre d'ecole, la face verdie d'un flot de bile.<br />

—Mais les jolis yeux culottes, la−bas!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

III 123

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