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Émile Zola - La Terre

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des poings, crachaient violemment. Un grand maigre eut l'idee de se faire raser, et Lengaigne, tout de suite,<br />

l'assit parmi les autres, lui gratta le cuir si rudement, qu'on entendait le rasoir sur la couenne, comme s'il avait<br />

echaude un cochon. Un deuxieme prit la place, ce fut une rigolade. Et les langues allaient leur train, on<br />

daubait sur le Macqueron, qui n'osait plus sortir. Est−ce que ce n'etait pas sa faute, a cet adjoint manque, si le<br />

bal avait refuse de venir? On s'arrange. Mais bien sur qu'il aimait mieux voter des routes, pour se faire payer<br />

trois fois leur valeur des terrains qu'il donnait. Cette allusion souleva une tempete de rires. <strong>La</strong> grosse Flore,<br />

dont ce jour−la devait rester le triomphe, courait a la porte eclater d'une gaiete insultante, chaque fois qu'elle<br />

voyait passer, derriere les vitres d'en face, le visage verdi de Coelina.<br />

—Des cigares! madame Lengaigne, commanda Jesus−Christ d'une voix tonnante. Des chers! des dix<br />

centimes!<br />

Comme la nuit etait tombee, et qu'on allumait les lampes a petrole, la Becu entra, venant chercher son homme.<br />

Mais une terrible partie de cartes s'etait engagee.<br />

—Arrives−tu, dis? Il est plus de huit heures. Faut manger a la fin.<br />

Il la regarda fixement, d'un air majestueux d'ivrogne.<br />

—Va te faire foutre!<br />

Alors, Jesus−Christ deborda.<br />

—Madame Becu, je vous invite... Hein? nous allons nous coller un gueuleton a nous trois... Vous entendez, la<br />

patronne! tout ce que vous avez de mieux, du jambon, du lapin, du dessert... Et n'ayez pas peur. Approchez<br />

voir un peu... Attention!<br />

Il feignit de se fouiller longuement. Puis, tout d'un coup, il sortit sa troisieme piece, qu'il tint en l'air.<br />

—Coucou, ah! la voila!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

On se tordit, un gros faillit s'en etrangler. Ce bougre de Jesus−Christ etait tout de meme bien rigolo! Et il y en<br />

avait qui faisaient la farce de le tater du haut en bas, comme s'il avait eu des ecus dans la viande, pour en sortir<br />

ainsi jusqu'a plus soif.<br />

—Dites donc, la Becu, repeta−t−il a dix reprises, en mangeant, si Becu veut, nous couchons ensemble... Ca<br />

va−t−il?<br />

Elle etait tres sale, ne sachant pas, disait−elle, qu'elle resterait a la fete; et elle riait, chafouine, noire, d'une<br />

maigreur rouillee de vieille aiguille; tandis que le gaillard, sans tarder, lui empoignait les cuisses a nu sous la<br />

table. Le mari, ivre−mort, bavait, ricanait, gueulait que la garce n'en aurait pas trop de deux.<br />

Dix heures sonnaient, le bal commenca. Par la porte de communication, on voyait flamber les quatre lampes,<br />

que des fils de fer attachaient aux poutres. Clou, le marechal ferrant, etait la, avec son trombone, ainsi que le<br />

neveu d'un cordier de Bazoches−le−Doyen, qui jouait du violon. L'entree etait libre, on payait deux sous<br />

chaque danse. <strong>La</strong> terre battue de la grange venait d'etre arrosee, a cause de la poussiere. Quand les instruments<br />

se taisaient, on entendait, au dehors, les detonations du tir, seches et regulieres. Et la route, si sombre<br />

d'habitude, etait incendiee par les reflecteurs des deux autres baraques, le bimbelotier etincelant de dorures, le<br />

jeu de tournevire, orne de glaces et tendu de rouge comme une chapelle.<br />

—Tiens! v'la fifille! cria Jesus−Christ, les yeux mouilles.<br />

III 122

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