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Émile Zola - La Terre

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et de lui en payer la rente, par petites sommes, au fur et a mesure de ses menus besoins.<br />

Ils trouverent le vieux dans son effarement habituel, pietinant au hasard, hebete devant un tas de bois, qu'il<br />

voulait scier, sans en avoir la force. Ce matin−la, ses pauvres mains tremblaient plus encore que de coutume,<br />

car il avait eu, la veille, a subir une rude attaque de Jesus−Christ, qui, pour lui faire vingt francs, en vue de la<br />

fete du lendemain, etait venu jouer le grand jeu, beuglant a le rendre fou, se trainant par terre, menacant de se<br />

percer le coeur d'un coutelas, apporte expres dans sa manche. Et il avait donne les vingt francs, il l'avoua tout<br />

de suite au notaire, d'un air d'angoisse.<br />

—Dites, est−ce que vous feriez autrement, vous? Moi, je ne peux plus, je ne peux plus!<br />

Alors, M. Baillehache profita de la circonstance.<br />

—Ce n'est pas tenable, vous y laisserez la peau. A votre age il est imprudent de vivre seul; et, si vous ne<br />

voulez pas etre mange, il faut ecouter votre fille, vendre et aller chez elle.<br />

—Ah! c'est aussi votre conseil, murmura Fouan.<br />

Il jetait un regard oblique sur Delhomme, qui affectait de ne pas intervenir. Mais, quand celui−ci remarqua ce<br />

regard de defiance, il parla.<br />

—Vous savez, pere, je ne dis rien, parce que vous croyez peut−etre que j'ai interet a vous prendre.... Fichtre,<br />

non! ce sera un rude derangement.... Seulement, n'est−ce pas? ca me fache, de voir que vous vous arrangez si<br />

mal, quand vous pourriez etre si a l'aise.<br />

—Bon, bon, repondit le vieux, faut y reflechir encore.... Le jour ou ca se decidera, je saurai bien le dire.<br />

Et ni son gendre, ni le notaire, ne purent en tirer davantage. Il se plaignait qu'on le bousculat, son autorite, peu<br />

a peu morte se refugiait dans cette obstination de vieil homme, meme contraire a son bien−etre. En dehors de<br />

sa vague epouvante a l'idee de n'avoir plus de maison, lui qui souffrait deja tant de n'avoir plus de terres, il<br />

disait non, parce que tous voulaient lui faire dire oui. Ces bougres−la avaient donc a y gagner? Il dirait oui,<br />

quand ca lui plairait.<br />

<strong>La</strong> veille, Jesus−Christ, enchante, ayant eu la faiblesse de montrer a la Trouille les quatre pieces de cent sous,<br />

ne s'etait endormi qu'en les tenant dans son poing ferme; car la garce, la derniere fois, lui en avait effarouche<br />

une sous son traversin, en profitant de ce qu'il etait rentre gris, pour pretendre qu'il devait l'avoir perdue. A son<br />

reveil, il eut une terreur, son poing avait lache les pieces, dans le sommeil; mais il les retrouva sous ses fesses,<br />

toutes chaudes, et cela le secoua d'une joie enorme, salivant deja a la pensee de les casser chez Lengaigne:<br />

c'etait la fete, cochon qui reviendrait chez soi avec de la monnaie! Vainement, pendant la matinee, la Trouille<br />

le cajola pour qu'il lui en donnat une, une toute petite, disait−elle. Il la repoussait, il ne fut meme pas<br />

reconnaissant des oeufs voles qu'elle lui servit en omelette. Non! ca ne suffisait pas d'aimer bien son pere,<br />

l'argent etait fait pour les hommes. Alors, elle s'habilla de rage, mit sa robe de popeline bleue, un cadeau des<br />

temps de bombance, en disant qu'elle aussi allait s'amuser. Et elle n'etait pas a vingt metres de la porte, qu'elle<br />

se retourna, criant:<br />

—Pere, pere! regarde!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

<strong>La</strong> main levee, elle montrait, au bout de ses doigts minces, une belle piece de cent sous qui luisait comme un<br />

soleil.<br />

III 118

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